Reste-t-il des Yvettes ?
Vous vous souvenez du mouvement des Yvettes, dont les membres avaient envahi l’ancien Forum de Montréal, à la veille du référendum de 1980? Elles brandissaient des pancartes et s’époumonaient à crier : « Non! » Selon ces Yvettes récupérées par des femmes et des hommes politiques, le Québec n’avait pas le droit de négocier l’égal à égal avec ses partenaires du Canada anglais.
D’où venaient-elles ? Nous somme en pleine période référendaire. Au cours de sa campagne, Lise Payette, ministre dans le cabinet Lévesque, prononce un discours où elle illustre l’évolution des femmes en rappelant le personnage d’un manuel scolaire de ses années de pensionnat, Yvette, une petite fille modèle dont l’avenir tout tracé se confinait aux travaux domestiques. Pour madame la ministre ce genre de cliché doit disparaître, car il perpétue un sexisme malhonnête et nous enseigne, dit-elle, l’inégalité des sexes et des chances.
Des réactions surprenantes
Il n’en faut pas plus pour que des fédéralistes en vue se saisissent des commentaires de madame Payette pour justifier une levée de boucliers. Comment, on ose attaquer les femmes au foyer. On les prend pour des « niaiseuses »? Les passions se déchaînent. Plusieurs mères de famille du camp du Non se laissent ainsi entraîner dans la danse pour d’autres femmes qui, celles-là, n’ont rien de « femmes au foyer » et ont plutôt fait carrière en politique et dans les médias. Je tais volontairement leurs noms pour ne pas troubler leurs vieux jours. « Nous aussi, nous sommes des Yvettes! » clament-elles.
Lise Payette et René Lévesque sont éberluées. Jamais le discours de la ministre n’a eu pour but de blesser celles qui travaillent à la maison. Au contraire même, l’objectif était plutôt de réveiller les gens et d’affirmer haut et fort que les femmes doivent être traitées sur un pied d’égalité avec les hommes!
On revient de loin
Retournons au début du XXe siècle et revoyons brièvement les batailles que les femmes ont dû livrer pour se libérer. À cette époque, elles sont traitées comme des citoyennes de seconde classe. Leur place est à la maison. Le travail à l’extérieur, la politique, les affaires, les arts, même ne regardent que les hommes. La petite fille doit apprendre, avec l’aide de sa mère et des éducatrices, à bien connaître son futur champ d’activités : couture, cuisine, entretien de la maison, et son rôle d’épouse et de mère. Si elle veut survivre et être respectée, elle doit trouver rapidement un mari ou entrer en communauté. Si elle ose ou doit par nécessité s’aventure à l’extérieur, elle peut le faire bénévolement pour les bonnes causes, ou se contenter d’un salaire médiocre comme ouvrière en usine, bonne, femme de ménage, garde-malade, gouvernante ou secrétaire d’un homme…
Du point de vue de la loi, la femme mariée est considérée comme une mineure. Elle n’a pas le droit de transiger ni de signer un document sans l’autorisation de son époux. La fille ne peut accéder aussi facilement que le garçon à l’université. Elle ne peut devenir avocate ni médecin. Bien sûr, elle n’a pas le droit de vote et ne peut se présenter comme députée, commissaire d’école ou échevin.
Mouvement féministe
Devant cette réalité, des femmes se révoltent. C’est assez ! Le mouvement prend naissance en Angleterre. Les États-Unis emboîtent le pas, suivis plus tard par les Québécoises.
Marie Gérin-Lajoie se joint aux femmes anglophones de Montréal et le combat est lancé. Accès aux études supérieures, aux professions libérales et bien sûr au droit de vote. Saviez-vous qu’une femme ne peut pratiquer le droit au Québec que depuis 1941? Qu’avant 1956, elle ne pouvait devenir notaire? Grâce aux efforts entre autres de Nellie McLung au Canada, ou d’Idola Saint-Jean et de Thérèse Casgrain au Québec, els femmes peuvent voter au fédéral depuis 1917 et au Québec depuis 1940.
Reste-t-il des Yvettes pour assassiner de nouveaux Lise Payette ?
(Source : Marcel Tessier raconte, chroniques d’histoire, Éditions de l’homme, 2000. Tome 1).