Les Voyages de Marco Polo

Les Voyages de Marco Polo (par Alain Grandbois, Éditions Bernard Valiquette.)

Par Pierre Elliott Trudeau, revue parue dans L’Amérique française, novembre 1941.

Ouvrage que tout homme cultivé se doit d’avoir dans sa poubelle. Et les boueurs, au nombre des pages découpées, pourraient apprécier la complaisance du lecteur.

Que ce premier prix littéraire de la Province n’ait aucune valeur ? Jugement de jeune critique, plus soucieux d’intransigeance que de justesse.

Comment m’accuser, moi

J’entends uniquement que la lecture en est inégalement importune à tous. Ce n’est certes pas une œuvre que je recommanderais aux déclassés de ce concours ; ils en devraient déduire, — à moins de prétexter des juges imbéciles, — que leurs Essais sur la France ne sont pas tout-à-fait immortels.

Par contre, l’éminent volume sera suave aux intellectuels de salon, aux avocats et aux juges de concours littéraire.

Et de lectures plus rassurantes aux ambitieux en lettres, je n’en connais pas: si chiches que soient leur inspiration et leur transpiration, ils sauront que la gloire ne leur est pas interdite.

Car le truc est assez simple qui est à la racine d’un premier prix.

On s’est enquis d’une période de l’Histoire peu explorée des profanes. L’Asie mystérieuse offre la spatialité ; et le temps choisi fut l’Age Sombre. Cette vaste intersection, — dont je ne dirai pas que le choix manque d’ingéniosité, tant nous émeuvent les êtres semi légendaires, — est traversée par tant de passants qu’il est un jeu d’en héler un : Gengis Khan, Kubilaï, les Polo, n’importe lequel autre figurerait au titre du volume avec un semblable à propos.

En somme, on n’a rien fait ici que compulser cette partie de l’Histoire afin d’en dégager les coups merveilleux, les anecdotes intéressantes, les mœurs curieuses ; il a suffi de tout précipiter ensemble, de mentionner ici et là les Polo, de citer en masse, de combler les failles par quelque anachronisme sur Mahomet, et voilà votre livre. C’est ainsi qu’on fait le chocolat.

Marco Polo aurait, pas impossible, rapporté de ses voyages ce récit peu cohérent, à l’écriture facile, riche en lieux communs, avec quelques timides essais de description, et il faudrait admirer. Car il dévoilerait aussi un monde inconnu. Mais quand l’épisode est vieux de sept siècles, on est vraiment peu excusable de ressasser les péripéties, à moins de faire quelque trouvaille historique ; à moins de fournir l’effort littéraire, d’explorer des sentiments nouveaux. (Je pense à la splendide EQUIPÉE de Victor Segalen.)

Mais si piètre que soit son œuvre, il faut pardonner à l’homme qui sait n’avoir rien accompli. C’est en quoi notre auteur se disculpe de l’imposture ; l’avant-propos prévient que « ce livre n’est pas un ouvrage scientifique, ni la biographie de Marco Polo, mais un simple récit des voyages du Vénitien et des événements qui louchent plus particulièrement à son époque. » L’écrivain voulait faire sa pelite contribution à notre connaissance de l’homme. Surtout de la femme. Je ne dirai pas qu’il ait misérablement failli : dans un style clair et toujours naturel, c’est la narration d’anecdotes sur ces étranges d’autrefois.

On est libre, c’est vrai. Tout écrivain peut courir sa chance, avec la mise qui lui plait…

Dans notre affaire, la faute est peut-être surtout d’avoir été malchanceux. Car un premier prix contient la promesse d’une œuvre nouvelle, d’une chose pétrie et façonnée. Mais l’auteur n’apporte pas un souffle vierge. L’artiste n’a rien créé. Et nous dévisageons une vulgaire vulgarisation pour le vulgaire…

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Océan Indien. Photo : Megan Jorgensen.

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