Les voyages des Amérindiens
J’ai eu un plaisir singulier à lire le poème d’Apollonious de Rhodes sur l’expédition des Argonautes, à cause de la ressemblance parfaite que je trouve dans toute la suite de l’ouvrage, entre ces héros fameux de l’Antiquité et les barbares du temps présent, dans leurs voyages et dans leurs entreprises militaires.
Hercule et Jason, Castor et Pollux, Zethés et Calais, Orphée et Mopsus, et tous ces autres demi-dieux, qui se sont rendus immortels, et à qui on a donné de l’encens avec trop de facilité, sont si bien représentés par une troupe de gueux et de misérables Sauvages qu’il me semble voir de mes yeux ces célèbres conquérants de la Toison d’Or, mais cette ressemblance me fait bien rabattre de l’idée que j’avais conçu de leur gloire, et j’ai honte pour les plus grands rois, et les plus grands princes du monde, qu’ils se soient crus honorés de leur avoir été comparés.
Le fameux navire Argo, qui a pour ancre une pierre attachée à une corde faite de racine de laurier; à qui le poids d’Hercule seul sert de lest : que les Argonautes (Apollonios de Rhodes, I, 955) portent sur leurs épaules, dans les sables de Libye, pendant douze jours et douze nuits, n’a rien que le distingue d’une pirogue, ou tout au plus d’une chaloupe.
Cet Hercule lui-même, qui choisit avec les autres sa place dans les bancs, et prend une rame à la main, qui s’enfonce dans les bois pour faire un aviron d’un petit sapin après avoir rompu le sien; qui, toutes les fois qu’on prend terre pour cabaner, couche sur le rivage à la belle étoile, sur un lit de feuilles, ou de branches, est un Sauvage dans toutes les formes, et n’a rien au-dessus. Je pourrais pousser la comparaison plus loin; mais elle sera assez sensible pour l’application du détail que je vais faire, à quiconque voudra le confronter avec le poème.
La plupart des voyages des Sauvages se font par eau, à cause de la commodité des lacs et des rivières, qui coupent tellement l’une et l’autre Amérique qu’il n’est presque point d’endroit où les eaux ne se distribuent. Les fleuves de l’Europe sont des ruisseaux en comparaison de ceux de ce Nouveau-Monde. Dans l’Amérique méridionale, le fleuve des Amazones, l’Orénoque, la rivière de la Plata sont de véritable mers par leur prodigieuse largeur et l’étendue de leur cours. Dans la septentrionale, il y a des lacs d’eau douce, qui ont flux et reflux, et dont quelques-uns ont plus de cinq cents lieues de tour. Presque tous ces lacs communiquent ensemble, et quand on est arrivé à la hauteur des terres, en remontant le grand fleuve Saint-Laurent, on trouve de belles rivières, qui coulent dans le Mississippi, lequel courant presque toujours nord et sud semble partager l’Amérique septentrionale en deux parties égales, pour recevoir dans son sein quantité de belles rivières, qui s’y rendent de ses deux bords, et dont il va porter le tribut à la mer, en se dégorgeant dans le golfe du Mexique.
La situation des Iroquois est encore plus avantageuse que celle des autres peuples de la partie orientale; car ayant d’un côté le fleuve Saint-Laurent dans leur voisinage au fameux saut de Niagara, et de l’autre l’Ohio, ou la belle rivière, qui tombe dans le Mississippi, ils sont à portée d’aller partout au levant et au couchant, en suivant le cours de ces deux rivières.
La manière dont la terre est coupée pour la distribution des eaux, qui doivent la fertiliser, a rendu la navigation nécessaire presque aussitôt qu’il y a eu des hommes. Mais cet art, qui a été porté dans les derniers temps à une si haute perfection, a été borné pendant plusieurs siècles à de bien petits commencements; et quoique l’arche dont Dieu même avait donné les proportions, et qui devait avoir une capacité bien ample, eu égard à ce qu’elle devait contenir, eût pu dès les temps du déluge donner des idées pour la construction des vaisseaux, d’une figure différente à la vérité, mais d’un très grand port; il faut avouer néanmoins que longtemps même après le déluge, non seulement rien n’approchait de l’arche, mais qu’il semblait même qu’on en eût perdu toute connaissance.
Il est vrai que le monde n’étant plus menacé d’un malheur aussi grand que celui qui le fit périr presque entièrement, et que l’ambition n’excitant pas la cupidité, comme elle l’a fait dans la suite, les hommes furent rebutés d’entreprendre des ouvrages semblables à celui qui avait été le fruit d’un travail de plusieurs années; soit qu’ils ne les jugeassent pas d’ailleurs nécessaires à leur besoin présent, soit qu’ils n’eussent pas encore une connaissance distincte de la vaste étendue des mers, et l’envie de s’y commettre, ou bien qu’ils aimassent mieux s’y exposer avec témérité que de prendre trop de peine et de fatigue, pour pourvoir à leur plus grande sûreté.
Quoique l’on fasse l’honneur aux Phéniciens, ou aux Égyptiens, d’avoir été les premiers auteurs de la navigation, je crois que l’on peut dire que les commencements ont été à peu près les mêmes partout où il y a eu des hommes, et que ces commencements n’étaient pas bien considérables. Il est même très vraisemblable qu’avant que les Phéniciens eussent enchéri sur les autres en cette matière les habitant des îles de la mer Égée, et des côtes maritimes du Péloponnèse, avaient commencé à y perfectionner plusieurs choses. L’Île de Crète était célèbre avant le grand commerce de Tyr et de Sidon. Jupiter avait enlevé Europe, fille d’Agénor, et ses enfants avaient eu longtemps l’empire de la Méditerranée. (Selon Thucydide – Histoire de la guerre du Péloponnèse, liv. 1-4, Mines est le plus ancien que l’on connaisse qui ait mis une flotte en mer. Eusèbe, dans sa Chronique sur l’autorité de Castor de Rhodes, nomme les peuples qui ont eu successivement l’empire de la mer. Les Lybiens, les Pélasgiens, les Thraciens, les Rhodiens, le Cypriotes, les Phéniciens, les Égyptiens, les Milésiens, les Cariens, les Lesbiens et les Phocéens. Il pouvait commencer par les Crétois).
Minos avait même fait des conquêtes et des établissements dans la Phénicie. Dédale et Icare du temps de Minos avaient inventé les voiles et les mâts (Lilio Gregorio Giraldi, Opera omnia, De Navigis libellus, Lyon, 1696, tome 1, page 602). Jason, selon quelques-uns, fut le premier qui trouva la fabrique des bâtiments longs, au lieu qu’ils étaient auparavant d’une figure ronde, comme certains petits bateaux dont on se sert encore sur l’Euphrate et sur le Tigre. Hérodote décrit ces bateaux ronds, dont il parle, avec lesquels on descendait l’Euphrate (Hérodote, t. I, p. 194).
Mais, sans remonter à des temps si obscurs, il est certain que pendant longtemps on ne s’est servi dans les trois parties du monde connu que de ceux dont on se sert encore aujourd’hui en Amérique, c’est-à-dire de pirogues et de canots.
(Tiré du Mœurs des Sauvages Américains, comparés aux mœurs des premiers temps, par Joseph-François Lafitau)
Un trésor : La rivière des Amazones
Les Indiens ne cessaient de parler de royaumes fabuleux, toujours situés au loin, mais les hommes d’Orellana, en fait d’or, ne virent jamais que quelques colifichets.
Pourtant, ils avaient trouvé un trésor, en l’occurrence la large voie navigable que constituait la rivière des Amazones, l’actuel Amazone, avec ses milliers de sites, dont la beauté était en harmonie avec celle du majestueux cours d’eau. Sous l’épais dôme de la forêt, les voyageurs découvraient les orchidées sauvages, les perroquets à longue queue, les grands papillons bleus et des phalènes de 30 centimètres d’envergure.
Les arquebusiers et les hommes chargés de tendre des filets s’activaient à approvisionner la troupe en iguanes, en singes-araignées, en tortues géantes, en poissons divers. Si, parfois, la journée semblait paradisiaque, certaines nuits dans la jungle rappelaient davantage l’enfer : jaguars, crocodiles, anacondas, fourmis longues comme le pouce, piranhas, ces poissons carnivores qui réduisent en quelques secondes à l’état de squelette un homme tombé par-dessus bord, entraient en action.
À l’embouchure, la fin d’un voyage
Portés par le courant, les deux minuscules bateaux naviguaient, non plus sur un fleuve, mais sur quelque vaste mer intérieur aux flots en mouvement parmi les innombrables îles verdoyantes. Les Espagnols échouèrent sur une de ces îles les deux embarcations qu’ils avaient construites de leurs propres mains et, en vue d’une traversée en mer, ils les améliorèrent, en leur ajoutant des ponts, des mâts neufs et en leur confectionnant des voiles à partir de couvertures cousues les unes aux autres. Les 45 survivants appareillèrent donc et, sortant du delta de l’Amazone, large de près de 250 kilomètres à l’embouchure, ils atteignirent l’île espagnole de Cubagua, au large de la côte du Venezuela. Dix-sept mois après s’être séparé de Pizarre, Orellana arriva en Espagne afin de persuader le Roi qu’il n’était pas un déserteur mais le découvreur d’un nouvel et vaste empire pour le compte de la Couronne. Par la suite, il regagna l’Amazone avec le titre de gouverneur et l’appui d’une petite force de 400 hommes. Cette fois, il fut vaincu par ce fleuve, si vaste et su sauvage. Ses hommes s’éparpillèrent et Orellana mourut au cours d’une exploration de l’embouchure de l’Amazone.
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