Le voyage de 1603

Le voyage de Samuel de Champlain de 1603

Voyage de Samuel de Champlain : Nous partîmes de Honfleur le 15e jour de mars 1603. Ce dit jour, nous relâchâmes à la rade du Havre-de-Grâce, pour n’avoir le vent favorable. Le dimanche ensuivant, 16e jour dudit mois, nous mîmes à la voile pour faire notre route. Le 17 ensuivant nous eûmes la vue d’Aurigny et de Guernesey, qui sont des îles entre la côte de Normandie et Angleterre. Le 18 dudit mois, eûmes la connaissance de la côte de Bretagne. Le 19 nous faisions état à sept heures du matin nous rencontrâmes sept vaisseaux flamands qui, à notre jugement, venaient des Indes (il s’agissait bien entendu de navires hollandais).

Samuel de Champlain, natif de Brouage en Aunis, navigateur et observateur attentif, commence ainsi le Journal de son premier voyage vers les terres nouvelles de Canada.

A bord de la Bonne-Renommée, un de trois navires que commande François de Pont Gravé, armateur de Saint-Malo, il n’est encore, lui, que géographe du roi chargé d’une mission de reconnaissance en vue d’établissements futurs éventuels. Rudement secoué dans l’Atlantique par une tempête qui devait durer dix-sept jours pleins, il ne se doutait du destin prestigieux qui l’attendait.

“Le 15 du dit mois (mai), nous eûmes connaissance des îles de Saint-Pierre (Saint-Pierre et Miquelon). Le 20 du dit mois, nous eûmes connaissance d’une île qui a quelque 25 ou 30 lieuex de long, qui s’appelle Anticosti, qui est l’entrée de la rivière de Canada. Le lendemain, eûmes connaissance de Gaspé, terre fort haute, et commençâmes à entrer dans la dite rivière de Canada, en rangeant la bande du sud jusqu’à Matane, où il y a du dit Gaspé 65 lieues… Le 24 du dit mois nous vînmes mouiller l’ancre devant Tadoussac, et le 26 nous entrâmes dans ledit port, qui il est fait comme une anse à l’entrée de la rivière du Saguenay, où il y a un courant d’eau, et marée fort étrange, pour sa vitesse et profondité, où quelquesfois il vient des vents impétueux à cause de la froidure qu’ils amènent avec eux ».

La première expédition officielle française à revisiter ces parages, depuis l’échec de Roberval tout juste soixante ans auparavant, venait d’atteindre le premier lieu d’habitation permanente en Nouvelle-France. C’était à Tadoussac, en effet, que le Normand Pierre de Chauvin, sieur de Tonnetuit, avait construit en 1600 son habitation avec l’idée bien arrêtée d’y demeurer à longueur d’année. Ce qu’il fit. Mais cet établissement menaçait de disparaître s’il n’était promptement soutenu. Les nouveaux venus arrivaient donc à point nommé pour consolider le fil tenu. Ayant ramené la paix dans son royaume, maintenant en plein essor économique, Henri IV pouvait enfin regarder au dehors pour rattraper le temps perdu en matière d’expansion outre-mer. A la suite de l’Espagne et Portugal, Anglais et Hollandais en effet se lançaient sur les océans à la conquête des terres lointaines. Aussi après la vaine tentative du marquis de la Roche et l’effroyable aventure des abandonnés de l’île de Sable, située dans l’Atlantique à 100 kilomètres au sud de l’île du Cap Breton, le roi, accueillit-il avec joie la nouvelle proposition de l’armateur malouin à qui il adjoignit son géographe. Champlain vivait à la cour, avec cette qualité, depuis la publication de son Bref Discours sur la navigation aux Antilles et au Mexique en 1599 et 1600.

Pour l’heur, le sieur de Pont-Gravé et Champlain ont débarque avec deux Indiens, amenés en France en 1600, et qu’on a rapatriés, afin d’aller saluer le chef du lieu. Mais un changement notoire s’était produit depuis les voyages de Jacques Cartier : les sauvages du Bas-Saint-Laurent n’étaient plus les Hurons, désormais refoulés vers l’ouest par des guerres dont on ne sait rien, mais des Algonquins, eux-mêmes déjà aux prises avec les terribles Iroquois. Or c’est de cette entrevue que date l’amitié, et on peut dire, la première alliance entre Français et Algonquins, qui devait avoir dans la suite des conséquences si importantes.

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Hauteurs de Québec. Illustraеion: Histoire-du-Quebec.ca.

« Ayant mis pieds à terre, nous fûmes à la cabane de leur grand sagamo, qui s’appelle Anadabijou, où nous le trouvâmes avec quelque quatre-vingt ou cent de ses compagnons qui faisait tabagie (qui veut dire festin), lequel nous reçut fort bien, selon la coutume du pays, et nous fit asseoir auprès de lui, et tous les sauvages arrangés les uns auprès des autres de deux côtés de ladite cabane.

Là-dessus, un des rapatriés fait un dithyrambique de leur séjour en France, insistant sur tout ce qu’il y a vu de merveilleux, sur la magnificence de la Cour, sur la puissance du monarque. Après quoi, ledit grand sagamo Anabadabijou,l’ayant attentivement oui, il commença à prendre du pétun (tabac. Pétuner : fumer la pipe ou calumet) et donna audit sieur du Pont-Gravé de Saint-Malo, et à moi et à quelques autres sagamos qui étaient auprès de lui : ayant bien pétuné, il commença à faire sa harangue à tous, parlant posément, s’arrêtant quelques fois un peu, et puis reprenait sa parole, en leur disant que véritablement ils devaient être fort contents d’avoir sa dite Majesté pour grand ami. Ils répondirent tous d’une fois : Ho! Ho! Ho! Qui est à dire : oui, oui. Lui, continuant toujours sa dite harangue dit qu’il était fort aise que ladite Majesté peuplait leur terre et fit la guerre à leurs ennemis, qu’il n’y avait nation au monde à qui ils voulussent plus de bien qu’aux Français. Enfin, il leur fit entendre à tous le bien et utilité qu’ils pourraient recevoir de sa dite Majesté. »

Le journal de Champlain contient des détails fort pittoresques et bien observés sur les Algonquins, les Montagnais, les Etchemins, et aussi, en bon géographe sur le pays qu’il contemplait. Il décrit le Bas-Saguenay, le cours du Saint-Laurent qu’il remonta jusqu’aux rapides de Lachine, l’île d’Orléans, le site de Stadaconé désormais appelé du nom algonquin de Québec, le Rétrécissement le site des Trois-Rivières, l’île de Montréal. Mais, nous l’avons dit, il ne s’agissait encore que d’une simple exploration. Aussi, le 10 juillet, les navigateurs étaient-ils de retour à Tadoussac. Ils allèrent se promener le long des côtes d’Acadie avant de quitter Gaspé, le 24 août, pour le Havre-de-Grâce où ils arrivèrent le 20 septembre.

Les Français au Canada (du Golfe Saint-Laurent aux Montagnes-Rocheuses, par Cerbelaud Salagnac, Éditions France-Empire, 68, rue Jean-Jacques Rousseau – Paris (1er), 1963.

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