L’amour à 65 ans, la cousine invisible et le vol de $1,800
Rubin Enkin, veuf depuis de nombreuses années, voulait se remarier…
Rubin Enkin, 65 ans, 4393, rue de l’Hôtel-de-Ville, Montréal, supportait mal son veuvage. Aussi, lorsqu’un étranger lui souffla dans L’oreille qu’une délicieuse Suzanne de 20 ans, désirait le connaître, il se rendit à 2030, rue McGill, justement le jour de la Pentecôte israélite. En passant, il alla prier à la synagogue pour le succès de ses nouveaux projets matrimoniaux.
Malheureusement, rue McGill, notre homme aurait rencontré le cousin de Suzanne, autre étranger frais émoulu de Pologne, et celui qu’il accuse aujourd’hui de lui avoir volé $1800. Il s’agit d’Henry Kaizer, 4466, avenue Laval, le camelot bien connu de la rue Saint-Denis, à deux pas de la rue Saint-Denis, à deux pas de la rue Sainte-Catherine.
L’enquête judiciaire a duré trois longues heures. Le juge Monet dut ajourner plusieurs autres enquêtes. Rubin Enkin, plaignant et seul témoin à charge, relata sa mésaventure dont le souvenir 1800 fois causa et provoqua chez lui une crise de larmes. Et chacun put entendre, à travers ses sanglots, deux mots : « My money ! My money! »
Après avoir coiffé un panama, le plaignant déclara au tribunal, par l’entremise d’un interprète juif :
Le jour de la Pentecôte juive, en 1940, je rencontrai un inconnu qui me dit avoir une bien jolie cousine, venue d’Ottawa, et qui cherchait un riche mari. Elle possédait un cottage à Westmount et deux fermes sur la Gatineau. Il m’invita à la rencontrer, mais moi je lui dis : « Je suis un homme religieux. Je vais d’abord aller à la synagogue; ensuite, j’irai la voir. » Après mes prières, je me rendis à l’appartement de la rue McGill. Là, un géant que je crois russe, mais qui n’est pas l’accusé à la barre, me paya un whiskey et un cigare. J’avais à peine bu mon verre que tout se mit à tourner. J’avais un nuage dans le cerveau, et les murs me semblaient noirs et menaçants. Peu après arriva celui qui devait me présenter sa cousine. Il me dit qu’elle arriverait plus tard. En attendant, il me présenta le Russe qui déclara arriver des mines d’or de l’Abitibi et étala sur la table des lingots de toute beauté. À ce moment, Kaizer entra avec un papier et demande à voir le vendeur d’or. Le cousin de la cousine lui présenta le Russe, et ce dernier évalua la fortune à $4,900 Kaiser la fit baisser à $4,500, et le Russe allait remettre son « or » dans la boite verte que je vois sur la table du greffier, lorsque le cousin me prit par le bras, m’invita dans un taxi, me conduisit à ma banque et m’en fit retirer la somme de $1,800. À mon retour à la rue McGill, pas encore de cousine, mais le prévenu me saisit à la gorge, le Russe me bâillonne et le cousin me vole mes $1,800.
Vous identifiez positivement l’inculpé? Demande ici Me Michael Rubenstein, avocat de la défense.
Oui, et même si vous lui enleviez la peau du visage, je le reconnaîtrais. Je dois dire que je l’ai cherché pendant deux jours dans les portraits de la « rugues gallery », mais je ne l’y ai pas trouvé. Il y a quelques semaines, je l’ai vu dans une salle de pool, à 17 ouest, rue Mont-Royal. Il s’est sauvé en me voyant.
Le juge Monet, après avoir examiné l’accusation, souligne :
J’ai devant moi quatre personnes à identifier : un juif polonais de 50 ans, pesant 145 livres, un juif polonais de 35 ans, pesant 150 livres, une juive polonaise aux cheveux roux et, enfin, un juif russe mesurant six pieds et pesant près de 200 livres. Je voudrais bien savoir lequel des trois, si l’on excepte la femme, serait le prévenu?
Le plaignant commence par dire que c’est le numéro 1, puis le numéro 2, puis il revient au numéro 1 et s’écrie :
– C’est celui que je vois à la barre.
– Vous aveux vu un nuage ? Demande Me Rubinstein.
– Qui, et cela roulait, la chambre tournait et la boîte verte dansait sur la table.
– Allez-vous souvent dans les salles de pool ?
– Je ne suis pas un « bum », moi.
C’est alors que Me Rubinstein demande l’acquittement du prévenu, en soulignant qu’il a pas de corroboration que l’inculpé n’a pas de casier judiciaire. Et le juge Monet de conclure :
Je pars pour mes vacances le 13 juin. À vous de produire une défense à cette date, avant la citation à l’examen volontaire, s’il y a lieu.
(Mercredi, 4 juin 1941, journal Le Canada).
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