Les vieux navigateurs et leurs histoires
Comme, d’ailleurs, la plupart des marins d’aujourd’hui, les « vieux navigateurs » étaient traditionalistes. Ne possédant que des cartes trompeuses, des instruments de navigation imprécis et n’ayant pratiquement aucun moyen de calculer leur longitude, ils avaient de bonnes raisons de se fier plutôt au compas et à l’estime. Cette technique, nullement parfaite, consiste à apprécier la distance parcourue à un cap connu et à en déduire le point.
àL’estimation de la distance parcourue impliquait l’appréciation de la vitesse du bâtiment. L’usage du loch, cet instrument relativement simple qui donne la vitesse du bâtiment sur l’eau, ne se généralisa qu’à la fin du XVe siècle ; auparavant (et même souvent par la suite), les marins se fiaient à leur connaissance de l’allure de leur bâtiment dans diverses conditions de l’état de la mer et du temps, et à l’observation de la dérive d’un paquet d’herbes ou d’un débris quelconque le long du bord. On estimait la vitesse toutes les demi-heures, soit huit fois au cours du quart qui, traditionnellement, durait quatre heures. Aux allures portantes, l’estime donnait une valeur relativement juste de la distance parcourue en vingt-quatre heures ; cependant, les courants pouvaient la fausser, et même faire dériver le navire d’un certain angle par rapport à la route à suivre.
Par vent contraire, le navire était appelé à louvoyer et le maintien d’une bonne estime devinait bien plus malaisé. Grâce à un renard de la timonerie, sorte de rose des vents sur laquelle les routes successives étaient portées, le capitaine pouvait se faire une idée de la distance gagnée au cours d’une série de bordées successives. Il lui fallait quand même estimer la dérive subie à chaque cap différent. Tout bien pesé, il semble donc parfaitement normal que les navigateurs de l’époque, dédaignant le concert de protestations des terrains spécialisés, se soient fiés davantage à leur instinct, à un sens marin qui tenait compte de leur connaissance de leur propre navire, plutôt qu’à des manuels rédigés par des marins d’eau douce. À la mer comme en amour, il vaut mieux se fier à son intuition qu’aux enseignements d’un livre.
Vents favorables
On s’aperçut que le trajet le plus rapide n’était pas toujours la ligne droite tracée entre deux points, mais l’un de ces longs corridors courbes, que balayaient les alizés ou d’autres vents réguliers. D’Espagne aux Indes occidentales, les navires suivaient l’arc des alizés de nord-est, qui les poussaient en trente jours des Canaries aux petites Antilles. En hiver, pour rentrer en Espagne, ils remontaient contre des ventes contraires jusqu’à hauteur des Bermudes, puis se laissaient porter vers l’Europe par le flot continu des vents d’ouest dominants.
Dans l’océan Indien, la mousson, avec son renversement saisonnier conditionnait le trafic maritime. Un voyageur décrit la mousson comme « un flux de vent qui souffle pendant trois ou quatre mois de suite, sans interruption et sans changement de direction ». Un navire parti d’Europe à destination des Indes devait doubler le cap de Bonne-Espérance au début de l’été, pour se laisser porter à travers l’océan Indien par la mousson du sud-ouest. Cette « mousson d’été » bloquait tous les navires dans les ports indiens de la côte ouest, jusqu’à la fin de l’automne. La « mousson d’hiver » les libérait et, soufflant du nord-est, les emportait jusqu’à la côte d’Afrique. La découverte des vents favorables et des routes à suivre fut une œuvre pénible et de longue haleine, résultant des efforts des navires qui poussaient de l’avant et tiraient des bordées, tout en luttant contre l’inépuisable flux d’air. Ce ne fut qu’en 1565 que les marins apprirent à remonter jusqu’au 42e parallèle Nord, pour trouver des vents favorables à une traversée d’ouest en est de l’Atlantique au retour des Indes occidentales.
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