Voyages en haute mer : À bord des vaisseaux anciens
Vaisseaux anciens : Les règles assurant le maintien de la formation en haute mer, de nuit comme de jour et spécialement par temps de brume, faisaient l’objet d’une application d’autant plus stricte qu’une séparation pouvait conduire à un drame. Les instructions relatives aux transmissions étaient très précises ; en cas de brume, les signaux étaient échangés à la trompette, à la corne ou par coups de canon. Par temps clair, un pavillon indiquait un changement de cap ou de voilure. La nuit, on se servait de fanaux. Ces moyens permettaient l’emploi d’un code rudimentaire, avec transmission de messages et accusés de réception pour signaler par exemple : « Venez conférer à mon bord » ; « Voiles ennemies » ; « Je suis en détresse »; « Venez à ma hauteur, je veux vous parler ».
Le commandant du navire amiral remettait à ses capitaines, sous enveloppe cachetée, des instructions précisant des rendez-vous en cas de perte de contact. Ainsi, en 1606, Pero de Queiros, à son départ du Pérou pour la traversée du Pacifique, prescrivit à ses capitaines en cas de séparation de rallier l’île de Santa-Cruz, plus ou moins bien connue d’ailleurs, et d’y attendre trois mois. « Si les autres bâtiments ne rejoignent pas, le capitaine érigera une croix sur le rivage et fera au pied de cette croix ou sur un arbre voisin un signe qui puisse être compris par le prochain arrivant ; il enterrera une jarre bien bouchée, contenant un récit détaillé de son voyage et un exposé de ses intentions ». Cette habitude d’enterrer des messages date du début du XVIe siècle; rien d’étonnant donc, à ce qu’elle ait donné naissance à des légendes, mentionnant des cartes secrètes et des trésors, à des récits dont le modèle du genre demeure l’Île au Trésor de Robert Louis Stevenson.
Même entrepris dans de bonnes conditions, la durée du voyage était imprévisible. Lors de son quatrième voyage, Colomb couvrit en vingt-et-un jours les 3000 milles séparant la Grande Canarie et la Martinique mais, grâce à un temps exceptionnel, Magellan traversa le Pacifique d’est en ouest en quatre-vingt-dix-huit jours, alors qu’en sens inverse la traversée prenait parfois six mois. Couvrant 1600 milles, Sir Francis Drake relia les îles du cap Vert aux côtes du Brésil en cinquante-quatre jours. De Lisbonne à Goa, un navigateur bénéficiant de vents favorables mettait sept mois, même avec d’excellentes cartes. Vers 1600, un voyageur italien assure à ses lecteurs qu’on ne mettait « guère plus de seize mois et demi pour faire le tour de la terre ».
À bord des vaisseaux qui entreprenaient de si longs voyages, les conditions de vie étaient détestables, même par comparaison avec celles des terriens de l’époque. Les coques faisaient eau et, en dépit de l’emploi constant des pompes, une mare clapotait à fond de cale, d’autant plus nauséabonde que l’hygiène n’était guère à l’honneur. Rats et cancrelas pullulaient. Aucun poste de couchage n’était prévu, sauf pour le commandant et le pilote, et les hommes dormaient là où ils le pouvaient, sur le pont ou dans les entreponts. Le ciré n’existait pas.
Les navires des explorateurs étaient moins encombrés que ceux qui les suivaient, emportant dans leurs flancs leurs cargaisons de colons de soldats, de marchands, en sus de l’équipage. Mais ces voyageurs de la deuxième vague empruntaient des routes connues et savaient que, compte tenu des caprices de la mer et du temps, la traversée durerait un nombre de jours déterminés.
L’inconfort, les mauvaises odeurs ne signifiaient pas grand-chose pour des pêcheurs ou des commerçants amarinés. Les voyages d’exploration posaient des problèmes de ravitaillement ; la principale difficulté venait de la nécessité d’embarquer suffisamment de vivres pour nourrir un nombreux équipage, indispensable à la manœuvre des voiles, surtout sur les premiers navires d’exploration.
D’autres facteurs jouaient aussi : les biscuits et la farine tournaient et devenaient la proie des vers, les meilleurs tonnelets contenant l’eau ou le vin ne tardaient guère à fuir tant ils étaient secoués. Les questions d’approvisionnement limitaient la liberté du mouvement du commandant, qui souvent préférait suivre un trajet d’île en île plutôt que de se lancer dans une traversée directe, même plus courte et moins dangereuse. Il prenait parfois des risques pour assurer un ravitaillement en vivres frais. Ainsi, en 1591, John Davis, bien qu’engagé dans le difficile passage du détroit de Magellan, dépêcha-t-il des embarcations à terre pour faire tuer et saler des manchots d’une colonie et assurer un surcroît de vivres à l’équipage, en prévision de la longue traversée à venir.
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