Univers mythologiques et la vision d’un écrivain contemporain
Il semble que les univers mythologiques n’ont été bâtis que pour éclater et permettre la reconstruction de nouveaux mondes à partir de leurs fragments.
Petit à petit, les grandes lignes d’un mythe fondamental se dégageaient : la création, la création de l’homme, l’origine de la propriété privée, l’origine de la mort, la perte de la foi, la fin du monde, la venue d’un rédempteur qui permettrait que le cycle recommence. Bientôt la structure serait complétée.
Voici la légende :
D’une voix basse, monotone, Breckenridge entama son récit. Alors il raconta la création de l’homme.
« Au commencement il n’y avait qu’une étendue de sable blanc. La foudre frappa, et à l’endroit où elle était tombée le sable se coagula en une jarre de verre et la pluie tomba dedans pour donner naissance à une louve. La tonnerre pénétra le sein de la louve et la féconda. Elle donna naissance à deux jumeaux qui n’étaient pas des loups mais des humains, un garçon et une fille. La louve les allaita jusqu’à ce qu’ils atteignent l’âge adulte. Puis les jumeaux connurent l’amour et engendrèrent des enfants. Honteux de leur nudité, ils tuèrent la vieille louve et se firent des vêtements de sa fourrure.
Les premiers hommes vivaient sous terre et la propriété privée n’existait pas. Un jour, il y eut un tremblement de terre et le sol s’ouvrit. La clarté du jour emplit la caverne souterraine où vivait l’humanité. Maladroitement, car la lumière les aveuglait, les hommes montèrent à la surface et apprirent à voir. Sept jours plus tard ils se répartirent les terres alentour et entreprirent d’édifier les murs qui devaient délimiter leurs domaines…
*
Œdipe régnait, hardi et impétueux, sur le pays des Voleurs. Il conçut un désir coupable pour sa mère, Eurydice. En la forçant, il se montra si violent qu’elle succomba. Rongé par le remords et craignant que la famille de sa mère ne veuille venger sa mort, il s’enfuit de son royaume en empruntant la voie des airs.
Sur les conseils du mage Prospero, il s’était confectionné des ailes, mais il vola trop haut et se rapprocha du char d’Apollon, son père, le dieux du soleil. Courroucé par cette intrusion, Apollon darda sur lui ses rayons et la cire qui maintenait les plus de ses ailes se mit à fondre.
Durant un jour et une nuit, Œdipe tomba pour enfin s’engloutir dans l’océan puis s’enfoncer bien au-delà des fonds marins, dans le royaume des ténèbres. C’est là qu’il demeure depuis lors, aveugle et boiteux. Mais à chaque printemps il revient parmi les hommes, s’en va claudiquant par les champs, et on dit que sous ses pas jaillit de l’herbe verte.
(Par Robert Silverberg, traduction de Jacques Chambon et Pierre-Paul Durastanti).