Troisième voyage de Cartier

Troisième voyage de Jacques Cartier au Canada

En son palais du Louvre, le roi François Ier écoute Jacques Cartier lui parler du Canada. L’audience est donnée dans une vaste salle ou l’on a installé le trône, mais le souverain en est descendu pour se pencher sur les cartes que le navigateur a déployées. A quelques pas, sept ou huit personnages étonnants vêtus mi-à la sauvage mi-à la française, se tiennent debout dans une attitude digne mais empreinte à la fois de crainte et de curiosité. Ce qu’ils voient depuis leur arrivée en France est tellement différent de ce que leurs yeux ont pu contempler jusqu’alors. Pour l’heure, Donnacona compare-t-il sa pauvre hutte de Stadaconé au palais merveilleux de l’agouhanna de France?

Le Malouin a fini son rapport. Il suggère un troisième voyage, et la création d’un établissement durable… Le roi acquiesce et charge tout de suite ses officiers d’étudier le projet. Il se fait présenter parmi les compagnons de Jacques Cartier ceux qu’il ne connaît pas encore, ainsi que les Canadiens, et il a pour chacun un mot aimable et bienveillant. L’audience est terminée.

Malheureusement tôt après, le roi de France dut reprendre la guerre contre Charles-Quint et les affaires des Terres-Neuves passèrent au dernier plan. Il fallut attendre une trêve pour envoyer une nouvelle expédition vers l’ouest. Elle se prépara enfin pour l’an 1541; mais durant ces cinq années, Donnacona et les autres Hurons, après avoir reçu le baptême, moururent les uns après les autres, sauf une jeune fille qui prit époux quelque part du côté de Saint-Malo. Or, cette fois-ci, Jacques Cartier dut céder la première place à gentilhomme plus haut placé; sans doute restait-il capitaine général et pilote en chef de la flotte des cinq navires prête à appareiller, mais on mit au-dessus de lui, avec le titre de lieutenant du roi et gouverneur des pays du Canada et Hochelaga, le chevalier Jean-François de la Roque, seigneur de Roberval.

Pourtant, sous prétexte de compléter un armement d’artillerie, Roberval donna l’ordre à Cartier de partir en avant, ajoutant qu’il le suivrait bientôt avec l’artillerie en question sur deux navires de Honfleur. De sorte que la flotte appareilla de Saint-Malo le 23 mai, emportant deux ans d’approvisionnements. Le 23 août, Jacques Cartier revoyait, avec la joie que l’on devine, l’île d’Orléans, l’embouchure de la Sainte-Croix (La Saint-Charles), le bourg de Stadaconé juché sur son rocher, et le cap Diamant surplombant le majestueux Saint-Laurent, tandis que des dizaines de canots sillonnaient le fleuve. (canot – mot d’origine américaine, devenu canoa en espagnol, canoé en anglais et canot en français. D’après Jacques Cartier, on disait casnouy en vieux-huron.)

Dans l’un d’eux, Agona agouhanna depuis cinq ans, cherchait anxieusement des yeux la silhouette de Donnacona. Il dut être soulagé en apprenant la mort de ce dernier en terre étrangère. Les Français s’installèrent à quatre lieues en amont de Stadaconé, au cap Rouge, ou ils construisirent deux forts qui prirent le nom de Charlesbourg Royal, en l’honneur du duc d’Orléans. Le 2 septembre, le capitaine général renvoya deux navires en France, avec Macé Jalobert et Etienne Noël pour aviser le roi de France de l’arrivée à bon port de l’expédition, et aussi de l’absence de Roberval. Puis laissant momentanément la garde de l’habitation au vicomte de Beaupré, Jacques Cartier se mit en devoir de remonter le fleuve avec Martin de Paimpont et deux navires, pour tenter de trouver un passage au nord vers les hautes terres du mystérieux royaume de Saguenay dont tous les indigènes louaient à l’envi les fabuleuses richesses. Il dut atteindre l’Ottawa et commencer à remonter cette rivière, peut-être jusqu’au Long-Sault.

Cependant, Roberval armait, non à Honfleur mais à La Rochelle trois gros navires et enrôlait deux cents personnes, tant hommes que femmes, paysans et artisans, soldats et marins. Il ne fut prêt à lever les ancres que le 16 avril 1542. Il emmenait aussi, outre son lieutenant Paul d’Aussillon, seigneur de Sauveterre, l’enseigne Nicolas de Lespinay et le capitaine Guinecourt, plusieurs gentilshommes de marque : MM de Noirefontaine, de Dieulamont, de Frotté, de LaBrosse, François de Mire, Jean de La Salle, de Royèze, Robert de Longueval, Le Vasseur de Coutances, de Villeneuve, Talbot, sans oublier le fameux pilote Jean-Alfonse de Saintonge. Le 7 juin, Roberval entrait dans la rade de Saint-Jean de Terre-Neuve oz=u il trouvait dix-sept navires de pêche, tant français que portugais, et o=u tôt après survenait, au grand complet, la flotte de Jacques Cartier. Celui-ci, devant l’hostilité croissante des sauvages, avait abandonné l’établissement du cap Rouge ; il refusa de se joindre aux nouveaux arrivants et cingla vers la Bretagne. Roberval poursuivit sa route et alla s’installer au cap Rouge. Le 14 septembre, Sauveterre et Guinecourt, avec deux navires, appareillèrent pour la France. Mais l’hiver canadien n’épargna pas les autres : cinquante personnes moururent du scorbut et les glaces ne desserrèrent leur étreinte qu’à la mi-avril. La démoralisation s’empara des colons ; aussi lorsque Saueterre, renvoyé par François 1er afin de les ravitailler, arrivera au cap Rouge à la fin de juin, ce sera en réalité les rapatrier.

Quant à Jacques Cartier, il ne retourna pas dans ce Canada qu’il avait découvert. Le reste de sa vie s’écoula en la bonne ville de Saint-Malo, à contempler sans doute avec mélancolie, du haut des remparts, au-delà des deux Bés, l’horizon de la mer… Et « ce dit mercredi, 1er jour de septembre 1557, au mati environ cinq heures décéda Jacques Cartier » (Archives de Saint-Malo, Audiences dudit jour).

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Hauteurs du Cap Diamant
 Les hauteurs du Cap Diamant. Photo : Histoire-du-Quebec.ca.

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