Progrès de l’agriculture en Nouvelle-France et les réajustements des institutions militaires en 1667-1687
À deux reprises, les guerres qui scandent l’histoire du régime français sont interrompues assez longtemps pour que la colonie puisse profiter de l’accalmie, oublier le danger et poursuivre facilement ses activités. La paix de trente ans qui suit le traité d’Utrecht (1713) est l’une de ces périodes privilégiées qui offre aux historiens l’occasion de délaisser le fil des événements et de faire le point sur l’état général du pays.
En revanche, la paix de vingt ans qui suit l’entente conclue avec les Cinq Nations iroquoises en 1667 est rarement identifiée comme telle dans l’historiographie parce qu’elle est masquée par le brouhaha des sources conventionnelles qui constituent la correspondance administrative et les archives religieuses et judiciaires. Pendant que les autorités se déchirent entre elles et accusent les colons de tous les désordres, la majorité des colons travaillent à assurer la sécurité de leur familles. La mise en valeur de la terre est la tâche immédiate qui requiert tout leur énergie. C’est durant cette période que l’agriculture de l’île de Montréal progresse le plus rapidement, comme on peut constater à partir des recensements, des registres paroissiaux et des actes notariés, et sans aucun doute en est-il de même dans les autres seigneuries comme celles des environs de Québec.
Mais solide soit-elle, la démonstration n’a pas réussi à dissiper les idées reçues, telle l’antinomie entre commerce et agriculture, et les plus récentes synthèses continuent de représenter le canadien du XVIIe siècle sous les traits du coureur de bois et de situer l’étan « colonisateur » au XVIIIe siècle. Nos devons donc insister, préciser que les milices que l’on commence à mobiliser dans les années 1680 sont essentiellement composées de paysans demeurant pour les deux tiers dans le gouvernement de Québec, loins des séductions des pays d’en haut.
Consolidation du commerce des fourrures et des alliances
Tout comme il a fallu tourner l’objectif vers les campagnes pour évaluer le progrès de l’agriculture, nous devons observer la situation des Amérindiens à l’ouest de la colonie pour comprendre l’évolution du commerce des fourrures. Car, vues de Chagouamigon, ls querelles de Frontenac, les luttes pour contrôler de la traite et l’avalanche de règlements contre la cours des bois n’ont plus guère d’importance.
C’est la démarche de Richard White qui va droit à l’essentiel. Décimés et dispersés par les guerres intertribales et les maladies européennes, les peuples ou fragments de peuples qui s’installent autour des Grands Lacs et de leurs affluents après la tourmente ont deux priorités : subsistance et sécurité. Celle-ci est encore loin d’être acquise et la méfiance règne. Quand ils ne se sentent pas menacés par la famine ou leurs ennemies, certains sont prêts à entreprendre le long et difficile voyage à Montréal pour échanger leur fourrures. À la moindre alarme, ils y renoncent.
Afin de maintenir leurs exportations, la situation donc oblige les Français d’avoir des hommes sur place pour encourager les fournisseurs à descendre dans la colonie ou, en cas de refus, pour monter eux-mêmes les marchandises et redescendre les fourrures. Souvent ce sont les Amérindiens qui réclament leur présence. En somme, les pratiques commerciales dépendent largement des circonstances et des décisions individuelles des groupes indigènes avec lesquels les commerçants français doivent sans cesse négocier et renégocier les ententes.
Versailles et Nouvelle-France
Versailles n’a pas encore saisi la complexité des relations avec les nations éloignées et croit à tort que les Français sont libres d’organiser la traite à leur guise, que seuls le libertinage et le pillage attirent ceux-ci dans les pays d’en haut. Il faut donc régler le marché des fourrures sur le modèle des marchés publics du royaume et tout rentrera dans l’ordre. Tels sont les présupposés de l’édit royal du 15 avril 1676 qui met fin à la distribution de permis de traite dans la profondeur des bois.
Comme l’explique Colbert à l’intendant de Québec, l’intention du roi est de faire établir des marchés hebdomadaires dans les principales villes de la colonie où on échangera publiquement les pelleteries. Deux ou trois fois l’an, des foires se tiendront sur les mêmes lieux, qui rassembleront un plus grand nombre de visiteurs. En interdisant la présence de commerçants dans les villages de l’intérieur, on est sûr que les Amérindiens prendront docilement le chemin de la colonie, tout comme les paysans des zones décommercialisées des grandes villes de France qui ne peuvent vendre leurs grains ailleurs qu’au marché.
La paix en Nouvelle-France et la méconnaissance de la situation
Une telle méconnaissance des lieux, des distances, du déplacement des zones de chasse, de la culture des fournisseurs et de la dimension diplomatique de la traite prête à sourire. Pourtant Colbert n’est pas un esprit borné, incapable d’imaginer ce qu’il ne connaît pas. Mais des administrateurs énervés par leur propre impuissance le mal informent. En l’absence d’appui militaire ou policier ils semblent incapables d’oublier leurs rancunes pour exposer clairement les problèmes et proposer des solutions raisonnables.
Règlements royaux et la paix en Nouvelle-France
Entre 1672 et 1681, on compte pas moins de sept règlements d’origine royale et une vingtaine d’origine locale contre les « coureurs de bois » assortis de menaces de mort, fouet, galères, amendes et confiscations, qui ont pour seul effet d’aggraver les désordres qu’ils sont censés combattre.
La fièvre de dénonciation qui empoisonne la correspondance administrative culmine en 1679-1680 lorsque l’intendant accuse le gouverneur de favoriser le transport des pelleteries chez les Anglais et affirme que plus de 800 Français vivent dans les bois des années durant tandis que leurs terres, leurs bestiaux et leurs femmes sont à l’abandon. La création d’un système de congès pour les voyages dans l’ouest, l »amnisite consentie aux contrevenants vont, en décriminsalisant la traite à l’intérieur, permettre d’imposer une discipline aux voyageurs.
La paix en Nouvelle-France et le rappel de l’intendant
Par ailleurs, le rappel de l’intendant Duchesneau en 1682 ramène le sens de la mesure dans l’administration, car nous savons qu’il n’y a jamais eu 800 ni même 600 colons dans les pays d’en haut à cette époque, que l’on ensemence les terres de la colonie, que le bétail se multiplie et que les femmes font des enfants avec leur mari.
Mais le nombre importe moins que la qualité des hommes confondus sous le nom de « coureurs de bois ». L’expression, qui apparaît justement pour la première fois dans les textes officiels en 1672, sert à désigner toutes sortes d’individus. Il s’agit d’anciens engagés sans domicile fixe, des criminels qui abusent des Amérindiens, de jeunes Montréalais qui vont intercepter les fourrures destinées à la foire ou à tel marchand-équipeur. Il s’agit ainsi qu’une majorité de voyageurs qui n’ont pas mérité d’être en si mauvaise compagnie. Tout en poursuivant leurs intérêts, ces commerçants sont, avec les missionnaires, les premiers artisans de l’alliance à laquelle la Nouvelle-France va convier sa destinée.
La paix en Nouvelle-France et les paysans
Bon diplomate, le voyageur des pays d’en haut fait parfois un bon soldat, mais pas nécessairement. Les hommes qui exercent ce métier sont au départ plus vigoureux que la moyenne. Ils acquièrent au fil des années une connaissance inestimable de la forêt, des lacs et des rivières, la capacité de dormir à la belle étoile, de marcher longtemps sans manger, de porter de lourdes charges. Ces sujets de choix pour les partis de guerre sont cependant plus difficiles à mobiliers que les paysans. À vrai dire, ils ne font pas partie de la milice. Quand ils participent aux campagnes militaires, c’est à titre de volontaires, pour les avantages qu’ils peuvent en tirer.
(Extrait de Le Peuple, l’État et la Guerre au Canada sous le régime français par Louise Déchène. Les Éditions de Boréal, 2008).