La suerie chez les Amérindiens

La suerie : un remède ancestral des Amérindiens

La suerie est leur remède le plus universel, et dont ils font un plus grand usage. Elle est également pour les malades et pour les sains, qui se purgent par là des humeurs abondantes, lesquelles peuvent avoir altéré leur santé, ou qui pourraient dans la suite leur causer des infirmités.

La suerie est une petite cabane en rotonde de six ou sept pieds de haut, où ils peuvent ranger au nombre de sept ou huit personnes. Cette cabane est couverte de nattes et de fourrures pour la défendre de l’air extérieur. On y met à terre dans le milieu un certain nombre de cailloux, qu’on a laissés longtemps dans le feu jusqu’à ce qu’ils en aient été pénétrés, et on suspend au-dessus une chaudière pleine d’eau fraîche. Ceux qui doivent se faire suer entrent dans cette cabane nus, autant que la bienséance peut le permettre, et ayant pris leur place, supposé qu’ils ne doivent pas y traiter d’affaires secrètes, selon l’usage dont nous parlerons bientôt, ils commencent à s’agiter extraordinairement, et à chanter chacun sa chanson. Et comme souvent elles sont toutes différentes pour l’air et pour les paroles, cela fait la musique la plus désagréable et lus discordante qu’on puisse entendre.

De temps en temps, lorsque les cailloux commencent à perdre de leur activité, ils la réveillent en les arrosant avec un peu de cette eau froide qui est dans la chaudière. Cette eau n’a pas plutôt touché à ces pierres qu’elle s’élève en une vapeur qui remplit la cabane, et en augmente beaucoup la chaleur. Ils se jettent aussi mutuellement de cette eau fraîche au visage les uns des autres, pour s’empêcher de se trouver mal. En un instant leur corps ruisselle de toutes parts; et quand leurs pores sont bien ouverts, et que la sueur est la plus abondante, ils sortent tous en chantant, et courent se plonger dans la rivière, où ils nagent et de débattent avec beaucoup de véhémence. Quelques-uns, les malades en particulier, se contentent de se faire arroser l’eau fraîche. Il semble que le contraste d’un chaud extrême avec le froid de l’eau devrait les saisir et les faire mourir; peut-être qu’un honnête homme en mourrait; mais ils ont pour eux l’expérience que cela leur fait du bien, ce qui vaut mieux que tous les raisonnements qu’on pourrait faire.

Il est aisé de conjecturer de ce que Hérodote (IV, pages 73 et suivantes) raconte des purifications des Scythes, qu’ils se faisaient suer de la même manière. Voici ce qu’il en dit : « Quand les Scythes ont enterré les morts, ils se purifient, comme nous dirons. Premièrement ils se purgent la tête, et ensuite voici ce qu’ils font au corps. Ils dressent trois morceaux de bois, qui penchent les uns sur les autres; ils arrangent à l’entour des couvertures de feutre, et jettent des pierres ardentes dans une cuvette, laquelle est au milieu de ces morceaux de bois, et de ces couvertures de feutre. Or il croît parmi eux une espèce de chanvre, lequel est fort semblable au lin. Ils prennent la semence de ce chanvre, et la mettent sous cette machine et sous ces couvertures; et en même temps il en sort une odeur si excellente, qu’il ne se trouve point chez les Grecs de si agréable cassolettes. Les Scythes, ravis de cette odeur, s’écrient aussitôt comme saisis d’étonnement, et cela leur sert de bain; car ils ne se lavent jamais le corps; il n’y a que leurs femmes qui se baignent. »

On ne peut méconnaître dans cette description la cabane préparée pour la suerie, et la manière de suer avec les cailloux; mais Hérodote a décrit cela à ça façon; et il ne paraît guère vraisemblable que chez les Scythes les hommes ne se baignassent jamais.

Les Lacédémoniens et les Lusitaniens se faisaient suer de la même manière, ainsi que Strabon (III, 3, 6) nous l’apprend. « Les peuples de Lusitanie, dit-il, qui habitent sur les bords du Duero, ont, à ce qu’on assure, absolument les mêmes coutumes et les mêmes usages qu’on observe à Lacédémonie. Ils se frottent d’huile deux fois le jour; ils se font suer avec des pierres ardentes; ils se baignent dans l’eau froide, et n’ont qu’une sorte de nourriture, vivant avec beaucoup de frugalité. »

L’usage des bains chauds était très fréquent anciennement; les Grecs et les Romains avaient beaucoup perfectionné la manière de se faire suer et d’aider la transpiration.

La suerie est non seulement un remède chez les Sauvages de l’Amérique septentrionale, mais elle est encore un usage de civilité, et peut-être de religion pour recevoir les étrangers. Car, dès que l’étranger est arrivé, et qu’il a un peu mangé de ce qu’on trouve d’abord à la main, tandis qu’on prépare une nouvelle chaudière pour le régaler, et que d’autre part on dresse la suerie, et qu’on fait rougir les pierres, on le fait asseoir sur une natte propre; on lui déchausse ses souliers et ses bas, et on graisse ses pieds et ses jambes. On le fait ensuite entrer dans la suerie, et le maître de la cabane qui l’a reçu y entre avec lui. Là, comme dans un sanctuaire de vérité, ils traitent des affaires les plus secrètes, il expose tous les motifs de son voyage, et il répond ordinairement avec assez de sincérité à toutes les questions qu’on lui fait. Si l’on s’aperçoit qu’il mente, et qu’il déguise ses sentiments, ou la vérité des faits sur quoi on l’interroge, on ne fait point semblant de s’en apercevoir. La coutume porte qu’il n’en soit pas moins bien traité, moins caressé, et cela n’empêche point qu’à son départ on ne le charge de présents et de biens comme si l’on avait lieu d’être content de lui.

Les Sauvages font aussi suer leurs malades avec le bois d’épinette, et d’autres branches de sapinage qu’ils font bouillir dans une grande chaudière, dont ils reçoivent la vapeur de dessus une estrade, sur laquelle ils s’étendent.

En Amérique, tout comme ici, on fait plus de cas des remèdes venus de loin que de ceux qu’on a à la main, et qui paraissent trop vils parce qu’ils sont trop communs. C’est la même chose du médecin que du remède; l’étranger a toujours la préférence; on le croit plus habile sans savoir pourquoi; la prévention est pour lui, et cela suffit : c’est sur ce principe que les Sauvages préfèrent un remède qui ait la grâce de la nouveauté à un remède usité. Et qu’ils l’emploient préférablement les médecins d’une autre nation que ceux de la leur. Ils se mettent volontiers entre les mains des Européens, ils se font saigner même sans besoin, et par compagnie; ils prennent par estime nos vomitifs et nos purgatifs, mais ils évanouissent presque en voyant ce terrible appareil de ferrements dont on se sert en Europe pour nous déchiqueter, et ils ne sauraient soutenir l’idée de ces grandes incisions que fait le bistouri, dont ils n’aiment du tout point les opérations.

(Tiré du Mœurs des Sauvages Américains, comparés aux mœurs des premiers temps, par Joseph-François Lafitau).

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La suerie. Image: Histoire-du-Québec.ca.

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