Situation critique de Montréal en 1760
La reddition de St-Jean (2 novembre) fut l’occasion de nouvelles doléances du gouverneur: « Les camps retranchés qui auraient pu être formés près de Chambly et de St-Jean ont été empêchés par la corruption et la stupide bassesse des paysans canadiens. Les sauvages sont partis, la milice des paroisses a déserté et les bons sujets sont à la merci des rebelles au dehors et des traîtres à l’intérieur. » La méchante humeur de Carleton lui faisait oublier que St-Jean, laissé à ses seuls moyens de défense, avait, durant deux mois, tenu tête aux assiégeants et avait dû capituler, faute d’être secouru par le gouverneur.
Plusieurs officiers et gentilshommes canadiens, enrôlés volontaires sous les ordres de M. de Bellestre, furent faits prisonniers, d’autres furent blessés, entre autres le capi taine de Salaberry; mais leur conduite loyale ne compen sait pas dans la pensée de Carleton, (( la corruption et la stupide bassesse des autres )).
Chambly et St-Jean tombés au pouvoir des Américains, Montréal passait au premier plan de la campagne d’envahissement. Déjà, à la rumeur qu’Allen s’apprêtait à passer le fleuve pour attaquer la ville—on a vu avec quel insuccès — le gouverneur, aussi commandant en chef, avait ordonné aux habitants des faubourgs d’apporter toutes les échelles à l’intérieur de l’enceinte. On répondit, paraît-il, à cette injonction par les menaces et l’insolence. « Il est douteux, dit Carleton, qu’il soit possible de trouver parmi la milice une garde suffisante pour les portes de la ville – chez les Anglais sans doute pas davantage. Il y a ici soixante soldats et les murs sont de grande étendue et sans pièces de défense. Il s’attend à ce que Montréal capitule dès la première attaque, parce que les classes inférieures restent inactives et la place manque de moyens efficaces de résister. )) La perspective de capituler, sans opposer de résistance, n’était pas due à la seule inertie de la population française; Carleton lui-même en était en partie responsable.
Au témoignage du juge en chef, William Hey, au moment où la province avait le plus urgent besoin de troupes régulières, le gouverneur, envoya deux régiments dans les anciennes colonies. Les troupes de la garnison de Montréal reçurent l’ordre de passer la frontière, alors que les rebelles américains s’apprêtaient à envahir le district. Pour un chef d’État et commandant de l’armée, c’était manquer de prévoyance, surtout quand lui-même, souventes fois, avait affirmé au ministère anglais que les Canadiens n’a vaient aucun motif sérieux de s’armer jamais pour la défense du régime britannique. (Archives canad.: Série Q., vol. 5-1, p. 260. — Lettre de Carleton à Shelburne).
En juin 1775, il avait proclamé la loi martiale et appelé la milice de Montréal sous les drapeaux. La réponse à cet ordre fut telle qu’il la jugeait possible dans sa lettre à Shelburne: Nous nous abuserions, disait-il, en supposant qu’ils se dévoueront à défendre un peuple qui les a privés de leurs honneurs, privilèges, profits et lois pour y mettre à la place beaucoup de dépense, de chicanerie et de confusion, sans compter un déluge de nouvelles lois inconnues.
Il eut sans doute été lui-même bien étonné de voir ce peuple se lever en masse pour la défense d’un pouvoir étranger, devenu chancelant, et que les Anglo-Américains eux-mêmes ne voulaient plus souffrir. La masse des Canadiens restèrent chez eux comme l’avait si justement prévu son Excellence.
On sait que les anciens sujets, les Anglais du pays, ne montrèrent pas plus d’enthousiaste ardeur à prendre les armes pour la défense de la couronne; et l’on a vu que presque tous les marchands de Montréal sympathisaient fort avec leurs congénères des colonies voisines.
Durant ces jours d’incertitude et de confusion, sir Guy s’établit presque en permanence dans l’Hôtel du gouvernement, l’antique château de Ramezay. Ce général en chef sans armée, bien que soutenu, — lui-même nous l’apprend — par le clergé, la noblesse et les notables du pays, fut incapable de faire marcher la milice, d’organiser la moindre défense de la ville. Il se contenta de brailler sur les malheurs du temps et l’inertie, très explicable, des Canadiens. Carleton était un politique plein de sens mais un piètre militaire.
Quand il apprit, en novembre, que Montgomery avait passé la frontière et gagnait la rive sud, il crut prudent de courir s’enfermer dans les murs de Québec, amenant avec lui ce qu’il restait de soldats réguliers en garnison à Montréal. Parti le 11 novembre, il fut immobilisé devant Sorel par des vents contraires et l’échouement de l’un de ses navires. Des troupes américaines, stationnées à cet endroit, tirèrent du canon sur la flottille et forcèrent le gouverneur à déguerpir. Le 19, il arrivait sain et sauf à Québec.
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