Service domestique au Québec

Le service domestique au Québec au début du XXe siècle

Vers 1920, après la Première guerre mondiale, malgré les conditions difficiles, les jeunes filles préfèrent souvent l’usine et la manufacture au travail domestique. À cette époque, une travailleuse du textile, entrée à l’usine à quatorze ans aux États-Unis et revenue au Québec à dix-sept ans, déclare : « Tout ce que je trouve, ce sont des places d’aide familiale… Il y a si longtemps que je joue ce rôle chez nous et les salaires sont si peu élevés que cet avenir ne me sourit guère. Avec ma sœur de cinq ans mon aînée, je retourne dans les usines de textile, d’abord à Trois-Rivières, puis, de là, au Massachusetts. »

En 1891, les domestiques constituent au Canada 41% de la main-d’œuvre féminine. En 1921, elles ne représentent plus que 18%, tout en constituant encore la deuxième catégorie d’emplois féminins. L’historienne Geneviève Leslie note que le service domestique demeure un emploi qui occupera un grand nombre de femmes jusqu’à la Deuxième guerre mondiale. Cependant, les conditions qui contribuent à faire en sorte que les femmes se retrièrent de ce secteur sont clairement visibles entre 1880 et 1930. En déplaçant la production à l’extérieur de la maison, l’industrialisation crée de nouveaux emplois qui permettent aux femmes de faire des choix et transforment à la fois la maison et la nature du travail domestique.

Ces nouvelles conditions permettent aux travailleuses de développer des mécanismes de revendication collective à propos de salaires et des heures de travail, ce que ne peuvent pas faire les domestiques. Ce type de travail, n’étant pas considéré comme partie intégrante de l’économie, est exclu des enjeux économiques et politiques. C’est un travail « non productif » se passant à la maison et dépendant d’une relation personnelle entre un employeur et une employée. Dans une société de plus en plus fondée sur la production de biens rapportant des profits, le travail domestique se dévalue progressivement, à mesure que la production ne se fait plus à la maison.

La situation des domestiques s’apparente de plusieurs façons à celle de certaines catégories de femmes. Leurs relations avec la famille se comparent à celles d’épouses, de fillettes, de « vieilles filles », de cousines pauvres qui ont toujours fourni un travail domestique gratuit ou misérablement rémunéré pour la famille à joindre les deux bouts.

N’étant protégées d’aucune façon, les domestiques mises à pied du jour au lendemain en période estivale ou au moment de récessions économiques doivent se trouver un endroit pour loger et un nouvel emploi. L’ensemble de ces conditions de travail fait des domestiques une catégorie de travailleuses particulièrement vulnérable.

Une enquête menée à Toronto en 1913, a révélé que près de la moitié des prostituées de l’échantillon sont d’anciennes domestiques. Mais pourquoi donc? L’historienne Lori Rotenberg soutient que leur perte d’emploi entraîne une plus grande insécurité que chez les ouvrières, puisqu’elles perdent en même temps leur toit. L’isolement du travail domestique rend plus difficile, pour les immigrantes et les domestiques d’origine rurale, la création d’un réseau d’amis qui pourraient les secourir. Enfin, l’historienne souligne qu’étant donné le peu de prestige social rattaché à ce métier, la perception d’une déchéance sociale est alors peut-être moins aiguë lors du passage de la domesticité à la prostitution.

Naturellement, ces remarques ne nous autorisent en aucune manière à voir en chaque domestique une prostituée en puissance. Il faut plutôt voir en chaque servante, à cause de la chute même du service domestique, une ouvrière ou une mère de famille en puissance. L’insécurité et la vulnérabilité des domestiques en chômage ou mises à pied montrent bien que, si le service domestique offre un toit, il n’offre pas nécessairement la sécurité, la chaleur et la protection de la vie familiales, comme le prétendent les recruteurs de domestiques.

À Montréal, entre 1900 et 1940, la plupart des domestiques sont des jeunes filles fraîchement arrivées de la campagne québécoise ou d’Europe et qui s’engagent dans les familles résidant dans le quartier Saint-Antoine ou dans les nouvelles banlieues d’Outremont et de Westmount. De jeunes Irlandaises, Russes, Tchèques s’engagent à la journée et sont payées un dollar par jour. Certaines patronnes leur donnent du linge et de la nourriture pour leur familles, tandis que d’autres les nourrissent très mal, ne les paient pas ou vont même jusqu’à leur lancer l’argent pour les obliger à le ramasser. Ces jeunes filles sont d’origine paysanne, peu habituées aux grandes villes, quasiment analphabètes et incapables, au moment de leur arrivée, d’aller travailler en usine.

Ailleurs dans la province de Québec, les jeunes campagnardes vont servir chez les patrons francophones ou anglophones installés à Trois-Rivières, Grand-Mère, Chicoutimi, Jonquière, la ville de Québec. Ces jeunes filles quittent le toit familial pour s’engager en ville dans une famille qui, leurs parents l’espèrent, les protégera des dangers moraux de la vie urbaine. Cependant, le harcèlement des femmes continue et, selon Léa Roback, les jeunes filles sont continuellement ennuyées par les maris et les fils de la famille : « J’en ai connu que se sont enfuies sans se faire payer leurs gages. » Bien des jeunes filles du Saguenay et de la Gaspésie ont été ainsi violées par leurs patrons. Leur séjour dans une même famille n’est pas long, du moins à Montréal, et la bourgeoisie s’en plaint.

En fait, dans une société très hiérarchisée, les domestiques sont totalement soumises aux conditions imposées par leur patronne. D’ailleurs, la soumission est considérée comme une qualité très importante dans le service domestique. Il faut savoir accepter les ordres, et les agents recruteurs qui travaillent pour l’Immigration reçoivent la consigne de trouver des jeunes filles sachant le faire. Tout acte de rébellion signifie une perte d’emploi. Au Québec, le clergé exerce lui aussi une surveillance étroite sur la vie des jeunes filles de la paroisse; on voit ainsi, comme chez les institutrices, des domestiques perdre leur place parce que le curé est venu à la maison blâmer leur conduite personnelle.

Aussi, lorsque les guerres créent une grande demande de main-d’œuvre, on constate une chute de pourcentage dans ce secteur, alors qu’il se gonfle à nouveau durant la crise des années 1930, au moment où l’emploi diminue dans le secteur manufacturier. Le travail des domestiques, des cuisinières et des femmes de ménage semble donc jouer le rôle de réserve de main-d’œuvre pour le secteur manufacturier.

(Tiré de L’histoire des femmes au Québec depuis quatre siècles. Le Collectif Clio.)

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Rue St-Roch et Notre-Dame
Intersection des rues St-Roch et Notre-Dame de la ville de Trois-Rivières. Photo de  Histoire-du-Québec.ca.

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