Histoire du Séminaire de Saint-Sulpice
Mais si le gouvernement se montra tolérant envers la religion de ses nouveaux sujets, il fut moins accommodant avec les ordres religieux. Il y avait là une question de biens-fonds qui l’intéressait beaucoup. Les Sulpiciens et les Jésuites furent surtout l’objet des convoitises de l’État.
Le Séminaire de Saint-Sulpice n’était pas sans appréhension au sujet de son droit de propriété sur la seigneurie de Montréal, car l’on savait que le nouveau gouvernement n’était pas disposé à admettre les étrangers à la possession d’immeubles en Canada. Il est certain qu’à ce moment-là le Séminaire de Saint-Sulpice de Paris était le véritable propriétaire de la seigneurie. Aussi, pour prévenir toute contestation dans l’avenir, le Séminaire de Paris céda-t-il tous ses droits de seigneur de l’Ile de Montréal au Séminaire de Ville-Marie; et le même jour, 29 avril 1764, celui-ci rétrocédait la seigneurie aux Messieurs Saint-Sulpice de Paris.
Les deux actes furent passés devant maître Mathon, notaire à Paris. Cette procédure permettait, sans doute, de s’opposer à toutes prétentions, d’où qu’elles vinssent.
En effet, le traité du 10 février 1763, accordant dix-huit mois aux étrangers pour disposer de leurs biens en Canada, la transaction du 29 avril 1764 était donc légitime et valide.
Pour affirmer davantage ses droits et prérogatives, le Séminaire en reprend en son nom l’exercice officiel.
Le 26 septembre 1765, il se fait autoriser par les commissaires de la paix à donner « titre nouvel » à tous les tenanciers et propriétaires de biens-fonds dans la seigneurie. Et la requête du supérieur, M. Brassier, motivée par les troubles de la guerre est accordée par le juge Dumas.
Le 28 octobre de la même année, du consentement des propriétaires Foretier et Périneau, il réunit à son domaine le fief Closse. Trois ans plus tard, le fief Lagauchetière était remis par la même autorité en tenure roturière. Le fief Closse fut de nouveau concédé et l’on voit que le juif Théodore Hart rendait foi et hommage pour cet arrière fief en 1845. (Archives du Séminaire.)
Le 3 février 1781, le Séminaire, ou les Messieurs de Montréal comme on les appelait alors étaient admis à rendre officiellement foi et hommage au gouverneur Haldimand, en leur qualité de seigneurs propriétaires de toute l’Ile de Montréal. Le même jour ils présentaient au gouvernement aveu et dénombrement de tous leurs censitaires, avec un état des revenus du séminaire. Cet acte officiel comportait implicitement, semble-t-il, la reconnaissance légale des Messieurs de Saint-Sulpice et leur titre incontestable de seigneurs de nie. Cela n’empêcha point certains fonctionnaires de la couronne d’agiter la « question des biens du séminaire ». Ils conseillèrent au gouvernement de se substituer aux Sulpiciens comme propriétaire de la grande seigneurie.
Vers 1800, le lieutenant-gouverneur Milnes proposait de s’emparer de tous ces biens, mais « avec la plus grande douceur ». Le secrétaire Ryland, de son côté, suggérait plutôt la manière forte, que l’on avait employée contre les Jésuites. (Mgr Plessis, alors coadjuteur, écrivait à Ryland, le 3 juin 1798, que « son départ causait un regret général et que l’évêque et lui-même le tenaient en bonne estime. » — Arch, canadiennes, série « Québec », vol.
81-2, p. 611. — Mgr Plessis dut sans doute changer de sentiment, quand le secrétaire provincial reprit sa charge et se fit l’adversaire irréductible de la hiérarchie catholique.)
M. Roux, qui était alors supérieur du séminaire, écrivit plusieurs mémoires, établissant les droits de St-Sulpice. Durant plusieurs années, les officiers en loi virent s’accumuler dans leurs bureaux des masses de lettres, de mémoires, de titres pour et contre le séminaire. Parmi les partisans de la mainmise de l’État sur ces biens religieux, l’évêque anglican de Québec était l’un des plus actifs et peut-être le plus influent. Il tenta de démontrer « le danger qui résulterait des possessions sulpiciennes, estimées à 250 000 arpents de terre, s’il se produisait une contre révolution en France, alors que la royauté restaurée reprendrait sa politique de colonisation américaine. »
De fait l’avènement de Napoléon créa quelque malaise au Canada; mais les appréhensions du lord évêque ne se réalisèrent point. D’autre part, le supérieur de St-Sulpice se chargea de rassurer les autorités anglaises sur les sentiments des Messieurs de Montréal à l’égard de celui qu’il appelait « le sanguinaire tyran ». Après maints pourparlers avec le gouvernement et la cour de Londres, le séminaire jugea à-propos, en 1819, de consulter douze avocats de Paris. Cette maîtresse pièce légale fut versée au dossier de cette importante affaire.
Durant quarante ans, la question des biens de Saint-Sulpice resta à l’étude. Elle fut définitivement résolue par une ordonnance du Conseil spécial vers 1838, après entente entre le gouvernement et le séminaire. Par cet accord les Sulpiciens conservaient leur domaine de la montagne, celui de la rivière des Prairies, toutes leurs propriétés privées, et quelques autres terrains et constructions personnels. Le gouvernement s’engageait à leur verser une indemnité pour l’abandon de leurs droits de « lods et ventes » et de retrait féodal et une partie du droit de censive. L’abolition du droit de « lods et ventes », en vertu duquel les seigneurs pouvaient exiger le douzième du prix de vente de toute propriété foncière, dans la ville comme à la campagne, était un bienfait depuis longtemps désiré par la population. Ce fut sans doute le point de départ du prodigieux développement de notre ville à partir de 1840.
(Extrait du livre « Histoire de Montréal » de Camille Bertrand, 1942).
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