Une semaine au Québec
La sortie de M. Lavergne – M. Sauvé à la chasse au scandale – Le budget – Les rapports des départements.
Montréal, 23 janvier 1916. – La seconde semaine de la session de la législature provinciale à Québec a produit deux sensations, dont l’une n’est guère que le prolongement d’un incident plutôt bruyant de la fin de la première.
La discussion de l’adresse en réponse au discours du trône avait amené dans les premiers jours de la session deux bons discours de deux jeunes députés, MM. Bugead et Bisonnette, une filandreuse et vague harangue de M. Cousineau et une tonitruante réponse de Sir Lomer Gouin. Puis l’honorable M. Caron avait fait oublier que M. Sauvé avait parlé avant lui.
Lorsque tout à coup M. Mavergne prit le mors aux dents et fit la sortie antipatriotique que l’on sait, qui lui valut, outre de cinglantes réponses des honorables MM. Taschereau et Mitchell, une répudiation directe de M. Tellier et de M. Gault, qui sont, après tout, les deux seuls membres de l’opposition qui comptent. Car même parmi ses amis, M. Gousineau n’est pas tenu en bien grande estime.
Et quoique M. Cousineau se soit abstenu de blâmer M. Lavergne, ce dernier n’en en a pas moins tenu l’opposition toute entière responsable de l’absolu isolement où il s’est trouvé et dès lundi soir, il profitait d’une motion d’ajournement pour se venger de ses anciens amis.
Il rappelait aux conservateurs les calories dont ils comblaient la petite bande des nationalistes en 1910 et 1911, citait les déclarations antibritanniques des plus huppés d’entre eux, de ceux, surtout, qui se prélassent aujourd’hui dans des fauteuils de ministres ou de président de Chambre à Ottawa. Il n’est pas jusqu’à certain juge qui ait écopé.
Le jeune lieutenant de M. Bourassa s’est largement déchargé la conscience, ce qui, d’ailleurs, n’a pas eu d’autre effet appréciable que de montrer au public le mauvais caractère de cet « enfant terrible » du nationalisme.
Il a bien essayé aussi, à l’aide de citations dénaturées, de textes tronqués et de fausses interprétations de donner quelques coups de griffes au parti libéral, mais de ce côté, il avait affaire à trop forte partie et il s’est simplement usé les dents, comme autrefois le serpent sur la lime.
C’est une mentalité très curieuse, chez ces petits politiciens de clocher, que sont les nationalistes. Il leur est impossible, semblerait-il, de voir plus loin que le bout de leur nez, et de faire une distinction entre une guerre mondiale, qui intéresse toute l’humanité et une simple querelle entre rois et gouvernants, à propos d’une frontière ou d’une province.
Parce que Sir Wilfrid Laurier comme nombre d’autres hommes d’État canadiens ont déclaré que le Canada ne devrait pas se mêler des querelles propres de l’Angleterre avec ses voisins, ils en concluent que pour rester logiques, ils devraient refuser même lorsque l’Angleterre et la France sont en danger d’extinction comme puissances mondiales et d’asservissement aux caprices du Kaiser, de faire le moindre geste pour les aider à s’en défendre.
On dirait que, pour eux, il n’importe en aucune façon au monde civilisé, et en particulier au Canada, qui doit ses libertés au jeu des institutions britanniques, que ces institutions disparaissent pour être replacés par la politique coloniale allemande.
Ceux qui savent ce qu’est cette politique coloniale à laquelle nous pourrions fort bien être soumis, si l’Allemagne était victorieuse ceux qui l’ont vue à l’œuvre aux Kameroons et dans l’Afrique Occidentale Allemande, où la barbarie teutonne s’en est donnée à cœur joie, ceux-là ne peuvent comprendre que des gens sensés, s’ils ne sont pas aveugles, – puissent rester indifférents dans la lutte actuelle.
Il y aurait lieu de recommander à M. Lavergne, comme à M. Bourassa et à M. Héroux, la lecture de l’enquête qui a eu lieu à Berlin à ce sujet.
Les chroniques du régime de l’intendant Talon ne sont que des histoires morales comparées à celles de la domination allemande en Afrique.
Mais ces gens-là sont hypnotisé ailleurs et ne veulent rien savoir de ce qui se passe au-delà de l’ombre de leur clocher. Plaignons-les.
À part la sortie de M. Laverne, la semaine à Québec a été témoin de l’effronterie de M. Sauvé, demandant la production devant la Chambre de toute la correspondance entre le gouvernement et les municipalités au sujet des bonnes routes.
Comme M. Sauvé ne connaît aucun cas de « graft » ou de favoritisme, bien qu’il affecte d’accuser le gouvernement Gouin d’avoir usé de ces pratiques conservatrices dont M. Rogers est le professeur émérite, un peu partout dans la province, il a cru qu’il pourrait peut-être, de cette masse de correspondance, détacher quelque phrase de leur contexte, tronquer quelque texte de manière à y trouver, en y mettant toute son aveugle partisannerie, de quoi éveiller un soupçon.
Un policier politicien d’autrefois disait « Donnez-mois trois lignes d’écriture d’un homme, je me charge de le faire pendre ». Certes, le gouvernement de Sir Lomer Gouin n’a pas à craindre cela, car, d’abord, M. Sauvé n’a pas les capacités du célèbre policier, et en second lieu, parce qu’il n’y a rien, dans cette correspondance, qui ne soit pas franc, droit et honnête.
Aussi, M. Sauvé Aura sa correspondance.
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Mais la grande sensation de la semaine a été l’exposé budgétaire de l’honorable M. Mitchell.
L’honorable Trésorier provincial, à huit jours de l’ouverture de la session, était prêt à mettre devant l’Assemblée législative le comte rendu de sa gestion financière. D’ordinaire, ce n’est que vers le milieu, ou parfois vers la finale de la session que cette reddition de compte a lieu, ce qui a pour effet de raccourcir le temps où les députés peuvent le critiquer.
Heureusement, l’honorable M. Mitchell n’a aucune crainte de la critique de l’opposition. Il a payé, en 1914-1915, toutes les dépenses ordinaires de la province, toutes les dépenses extraordinaires et, par-dessus le marché, toutes les souscriptions pour la guerre, avec les recettes ordinaires et il est resté en caisse un solde de près de $200,00.
L’opposition va-t-elle lui reprocher d’avoir obtenu trop de revenus? C’est possible, si l’on s’en rapporte aux indications que peuvent donner les critiques de vacances de M. Cousineau. Mais comme ce ne sera certainement pas, la position que prendra M. Gault, qui est censé être le critique financier conservateur, cela va être assez drôle. Si M. Cousineau et M. Gault s’entendent – ce qui n’est pas sûr – il n’y en aura qu’un des deux qui parlera. Si tous les deux parlent, ils se contrediront sûrement.
Le compte des dépenses de la province pour la voirie établit qu’une somme de $12,560,000 a déjà été dépensée pour cet objet, et qu’il reste à dépenser environ $2,4000,000 – qu’il faudra préalablement emprunter.
La dette nette de la province a été augmentée, naturellement, des sommes empruntées pour les travaux de la voirie. Mais s’il est une dépense justifiable, c’est bien celle-là et il n’est que juste de laisser à nos petits neveux le soin d’en acquitter au moins une partie, puisqu’ils en auront tout le bénéfice.
Les sommes considérables votées pour l’instruction publique vont probablement être encore augmentées dans la proportion qui permettra le revenu provincial.
À propos de revenu, il paraît que l’on calcule, chez l’opposition, que si de riches successions n’étaient pas ouvertes, l’année dernière, le budget aurait été en déficit. Voyez-vous ça?
Et s’il avait été en déficit, il aurait fallu emprunter comme l’ont fait les autres provinces pour payer les souscriptions aux œuvres de la guerre. Et après? C’est précisément ce que « La Patrie » reproche à l’honorable M. Mitchell de n’avoir pas fait!
Et pour le rendement de la taxe sur les successions est toujours aléatoire, mais il ne fait jamais de grands écarts, la moisson de la mort se maintenant généralement dans une moyenne à peu près stable, comme le constatent les compagnies d’assurance, dont tous les calculs sont basés sur cette stabilité.
M. Couisineau doit répondre, ce soir, à l’honorable M. Mitchell. La partie ne sera pas égale.
Presque tous les départements ont déjà déposé leur rapport annuel devant la chambre; quatre ont été déposés la première semaine; ceux du Secrétaire provincial du ministre de l’Agriculture, du ministre des Travaux Publics et du ministre de la Voirie. La semaine dernière, celui du département des Terres et Forêts s’y est ajouté.
On ne reprochera pas au gouvernement de retarder les travaux de la Législature. Les députés semblent d’ailleurs en veine de travailler et d’abattre promptement la besogne de la session.
R. de S.
24 janvier 1916, journal Le Canada.
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