Le scorbut : On les enterrait vivants
Voici des moments terrifiants de notre histoire. Il s’agit de d’une épidémie qui a semé la mort à un rythme infernal.
Les lecteurs qui ont l’âge d’avoir appris l’histoire à la petite école se souviennent tous du moment où le professeur racontait avec beaucoup de détails comment Jacques Cartier, installé à Stadaconé (qui allait devenir Québec) pour l’hiver, en décembre 1535, s’aperçut que dans la poignée de colons et de marins qui vivaient autour de lui, plusieurs étaient atteints d’un mal étrange et mortel. Décrivant la maladie, le Malouin écrit que les jambes du malade deviennent grosses comme des troncs d’arbres, et sont tellement boursouflée qu’elles laissent voir les nerfs noircis. En quelques jours, les hances, les cuisses, les épaules, les bras, puis le cou sont atteints. Enfin la bouche : les gencives pourrissent, les dents tombent. À cet instant du récit, toute la classe attendait la suite avec angoisse… Chacun imaginait l’horrible « bibitte » qui l’attaquait à son tour sournoisement.
En fait, des 110 hommes de la petite colonie, seulement 10 n’ont pas contracté la maladie. On a beau prier, faire des vœux, installer des images saintes aux arbres, s’accrocher au miracle, rien n’arrête la marche de l’épidémie. Cartier exige un jour que l’on ouvre un cadavre, dans le but de trouver la cause : « Le cœur était blanc et flétri, écrit-il, environné d’un pot d’eau rousse. Le sang et les poumons, continue-t-il, étaient noirs. »
Cela décide le brave capitaine à demander de l’aide. Son bateau retenu par la glace, il quitte son campement et va, marchant dans la neige jusqu’à mi-corps, vers celui des Indiens. Il s’adresse au chef Domagaya qui, lui-même atteint de cette maladie, s’est guéri en ingurgitant le jus de l’écorse d’épinette. Le capitaine Cartier rapporte aussitôt la recette chez les siens. Trois ou quatre traitements plus tard, les malades sont guéris! Une simple décoction d’écorce de conifère réussit là où les dévotions ont échoué…
Notons que notre histoire n’aurait pas pu s’écrire sans Jacques Cartier : son rôle est primordial dans ce pays. Christophe Colomb, en 1492, atteint le nouveau continent, l’Amérique, aux Antilles. À la suite, les Espagnols font de nombreuses traversées, les Portugais aussi. Parmi ces derniers mentionnerons les frères Corte Real, parce qu’ils viennent au nord plutôt qu’en Amérique latine. Gaspard se rend vers 1500 sur la côte du Labrador; son frère Miguel, en 1502, touche Terre Neuve et pénètre dans le golfe Saint-Laurent. Les Anglais aussi viennent dans le golfe, explorent les côtes de l’Atlantique et d’une grande baie qui portera le nom du plus fameux de ces explorateurs, Henry Hudson. On a souvent rappelé que les Vénitiens Jean et Sébastien Cabot, le père et le fils, avaient été les premiers (dès 1497) à avoir navigué près des côtes du futur Canada.
Pendant ce temps, un jeune marin malouin fait son apprentissage. En avril 1534, après avoir recruté son équipage, Cartier quitte le quait de Saint-Malo avec 61 compagnons. Trois semaines plus tard – heureuse exception – la traversée est remarquablement rapide -, la vigie s’écrie : Terre! Terre! C’est la côte est de Terre-Neuve, au cap Bonavista. Il remonte la côte et va vers le nord. Il prend possession de ce pays neuf et y érigeant une croix. Il vient de prendre officiellement possession du territoire qui deviendra le Canada, au nom de son souverain.
(Extrait du livre Marcel Tessier raconte, chroniques d’histoire, tome 1. Éditions de l’Homme, une division du groupe Sogides, 2000).
Pour compléter la lecture :