Plus le salaire minimum augmente, plus le nombre de chômeurs augmente
Par Louis Falardeau
QUEBEC – Le fait que le salaire minimum soit «trop élevé» au Québec – et surtout qu’il y soit sensiblement plus élevé qu’aux États-Unis et en Ontario – amène une importante augmentation du taux de chômage, surtout chez les jeunes. La politique québécoise en cette matière a également un impact à la hausse sur les prix et affecte négativement la rentabilité des entreprises surtout dans les secteurs «mous», dans l’hôtellerie et la restauration et dans le commerce au détail.
De plus, la politique québécoise du salaire minimum n’atteint même pas vraiment son objectif premier qui est de hausser les revenus des bas salariés. En effet, une hausse du salaire minimum n ’augmente sensiblement pas le revenu total des bas salariés que parce qu’elle provoque une hausse à peu près concurrente des prestations d ’assurance chômage.
Telles sont les étonnantes conclusions d’une étude réalisée par le professeur Pierre Fortin de l’Université Laval pour le compte de la Commission du salaire minimum.
Étude qui a d’ailleurs grandement influencé la récente décision du gouvernement de freiner la croissance du salaire minimum au Québec.
On se souviendra que le 20 juillet dernier, le premier ministre Lévesque annonçait que le Conseil des ministres avait décidé de réduire l’augmentation prévue et de la reporter de trois mois. Cette décision rompait avec une politique annoncée un an plus tôt par le gouvernement péquiste et qui prévoyait que le salaire minimum serait indexé (au coût de la vie ou au salaire moyen) à tous les six mois.
Ce faisant, le gouvernement allait quand même moins loin que le lui recommandait le professeur Fortin. Ce dernier souhaitait en effet que la prochaine hausse n’ait lieu que le premier janvier 79 et que le salaire minimum passe alors de $3.27 l’heure à $3.40. Et il ajoutait que les prochaines hausses annuelles devraient être moins élevées que celles consenties par nos voisins du sud et de l’ouest afin que dans un certain nombre d’années le salaire minimum québécois soit égal à une moyenne pondérée de ceux des États-Unis et de l’Ontario, alors qu’il est présentement de 23 p. 100 plus élevé.
Le premier ministre s ’était contenté d ’annoncer que le salaire minimum pas se rait à $3.37 le premier octobre et à $3.47 le premier avril 79, sans dire ce qu’il adviendrait par la suite, sinon que le problème global serait réglé par la loi des conditions minimales de travail. Il avait aussi vaguement parlé d’une possible politique de revenu familial garanti, qui est justement la solution globale que semble favoriser le professeur Fortin. Il croit qu’une telle politique amenuiserait les inconvénients d’une baisse du salaire minimum et remplirait mieux l’objectif de redistribution des revenus.
Le professeur Fortin estime que la politique québécoise du salaire minimum a créé entre 25,000 et 42,000 chômeurs, surtout des jeunes et des femmes. Par exemple, une seule hausse de 10 p. 100 par rapport au salaire moyen crée entre 18,000 et 30,000 chômeurs chez les jeunes de moins de 24 a et chez les femmes de 25 ans et plus.
Cela s ’explique notamment par le fait que les entreprises qui emploient beaucoup de bas salariés réagissent aux hausses du salaire minimum en réduisant leur personnel. Mais comme elles diminuent également le nombre d’heures de travail, le revenu des travailleurs qu’elles gardent à leur emploi augmente souvent assez peu et peut même diminuer.
De sorte qu’un salaire minimum élevé a pour effet de diminuer le revenu de travail de la plupart des jeunes et de bon nombre de femmes.
Le revenu total de ces personnes qui forment la grande majorité des bas salariés n’augmente alors que parce que les prestations d’assurance-chômage augmentent en même temps puisqu`elles sont calculées en pourcentage du revenu.
De telles hausses ont aussi des effets néfastes sur la rentabilité des entreprises qui emploient beaucoup de bas salariés en les obligeant à augmenter leurs prix de sorte que les acheteurs délaissent leurs produits pour d’autres qui viennent d’entreprises qui utilisent moins le travail des bas salariés.
Malgré ce bilan très négatif, le professeur Fortin ne propose pas l’abolition du salaire minimum. Il le considère nécessaire pour atteindre l’objectif de protéger les bas salarié s qui sont impliqués dans un échange inégal avec leur employeur. Mais pour éviter qu’on exploite des personnes, il n’est pas nécessaire que ce salaire soit si élevé et c’est pourquoi il propose une baisse appréciable. (Une baisse réelle qui se traduirait par des hausses bien plus modestes que le taux d’inflation). Le professeur Fortin reconnaît qu’une baisse du salaire minimum pourrait entraîner une hausse des coûts d’aide sociale en raison de la démotivation au travail qu’elle entraînerait. Mais il estime que même si déjà le revenu net de l’assisté social est généralement égal ou supérieur à celui du travailleur rémunéré au salaire minimum, sauf dans le cas des personnes seules, l’impact financier serait assez mince en raison de l’effet de réemploi d’une telle baisse et d ’une diminution des prestations d’assurance-chômage.
(Encore que, si le coût ne serait pas beaucoup plus élevé pour le contribuable, il serait très inégalement partagé entre le fédéral et le provincial, le premier se trouvant soulagé dans son programme d’assurance chômage alors que l’autre devrait augmenter son budget d’aide sociale).
Mais la solution, selon l’auteur de l’étude, serait la création d`un régime de revenu familial garanti qui «contribuerait à résoudre le problème de l’incitation au travail, à rétablir une certaine équité entre l’insuffisance de revenus au travail et hors travail, en tempérant ou annulant l’impact de la baisse du salaire minimum sur le revenu familial des véritables bas salariés et en simplifiant la. Gestion du système de sécurité du revenu.»
Texte paru dans La Presse le 1er septembre 1978.
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