Le Rôle des Seigneurs à Montréal
Les seigneurs de Montréal ne gouvernaient plus; mais ils restaient toujours les maîtres incontestés du territoire. Depuis cinquante ans, le Séminaire distribuait largement des terres à tous venants; mais il tenait la main à leur défrichement et mise en valeur, dans l’intérêt de la communauté.
Commerce de l’Ouest, explorations, expéditions militaires avaient entraîné en dehors de l’île une foule de colons et d’habitants de la ville, préférant aux durs travaux de la terre, à l’exercice d’un métier, les aventures de traite, les voyages de découverte, les excursions hasardeuses. Les terres restaient incultes, les terrains, déserts.
Le gouvernement du Canada, pour remédier au sérieux abus de la désertion des terres, qui était générale, mais dont Montréal était surtout affectée, publia plusieurs ordonnances pour obliger les propriétaires à défricher et « habituer » leurs biens-fonds. Les désertions continuaient quand même. Le mouvement d’émigration était entré dans les mœurs du temps. Il se continuera, plus ou moins actif, jusqu’à la cession.
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Pour ne pas laisser indéfiniment dans l’abandon les terres incultes des concessionnaires en voyage, les seigneurs demandèrent à l’intendant Raudot, en 1708, de réunir par décret, à leur domaine seigneurial, les terres et terrains, tombés en déshérence par la négligence de leurs propriétaires.
Les autorités ont autorisé le Séminaire à annuler les titres antérieurs et à concéder à d’autres les terres en friche. («Ordonnance de Raudot pour autoriser les Sulpiciens à réunir à leur domaine les terres concédées qui sont restées inhabitées et incultes.» Archives de la Marine: «Collection Moreau St-Méry », vol. 7, folio 94).
Cette mesure de rigueur, arbitraire en apparence, était parfaitement juste et justifiée. Les terres incultes nuisaient à la mise en valeur et à la bonne ordonnance des établissements. Ceux qui délaissaient leur bien ne pouvaient blâmer qu’eux-mêmes qu’on le donnât à d’autres pour le faire fructifier.
* Seigneurs de Montréal
En dehors du contrôle et de la libre disposition des terres, les seigneurs n’avaient pratiquement plus aucune de leurs prérogatives anciennes. Les rares fonctionnaires qu’ils nommaient encore, comme d’ailleurs la plupart des hauts officiers civils choisis par Québec, avaient une autorité de façade. Le rouage politique, social et judiciaire de Montréal, tel que l’avaient organisé les fondateurs, autonome et indépendant, sous la direction des seigneurs, était passé insensiblement, comme par la force des choses, aux mains du gouverneur général et de l’intendant.
Gouverneur, lieutenant de roi, subdélégué de l’intendant, juges (civils et criminels), greffiers, sergents, huissiers, commissionnés par lé roi ou nommés par Québec, avaient, dans la pratique, des attributions vaguement définies. L’exercice de leurs fonctions était souvent traversé et mis en échec par l’intervention directe du gouverneur ou de l’intendant, qui réglaient par eux-mêmes les plus infimes détails de l’administration de la ville et de la campagne.
Jacques Raudot, en 1706, rendait une ordonnance très élaborée (Archives de la Marine: «Collection Moreau St-Méry ». vol. 7, folio 17), concernant l’entretien des rues et l’établissement d’un marché public à Montréal. (Le premier marché public était établi sur l’ancienne Place Royale, au nord-ouest de la Pointe Callières. Déjà, en 1676, les cultivateurs des environs y venaient vendre leurs produits.
* Seigneurs de Montréal
L’intendant affirme que les rues sont malpropres — il y a deux cents ans — faute de pente suffisante. Il stipule que telles rues devront avoir la pente nécessaire à leur égouttement depuis la maison d’un tel… jusqu’à telle autre bâtisse.
Quelque temps après, il fixait d’autorité le nombre des bouchers à cinq pour toute la ville; celui des tanneurs à deux. Il confiait cette industrie à de Launay et Barsalot.
En 1707, nouvelle ordonnance de M. Raudot, qui défend aux habitants des côtes du gouvernement de Montréal de s’établir dans la ville pour donner à boire aux sauvages. La peine pour contravention sera le carcan. (Archives de la Marine: «Collection Moreau St-Méry », vol. 7 folio 53).
En 1710, l’intendant ne reconnaît que dix cabaretiers, qui pourront vendre à pot et à assiette. Il permet à neuf d’entre eux de fournir de la bière aux sauvages, mais au verre seulement. L’intendant détermine à quelles catégories d’indigènes chacun des cabaretiers pourra donner à boire. (Il y en aura trois pour les sauvages du Saut-Saint-Louis, mission des pères Jésuites, deux pour ceux du Saut-au-Récollet, mission des Sulpiciens, deux pour les Nipissingues et deux pour les Ou taouais, les Abénaquis et autres nations.» (Archives de la Marine: «Collection Moreau St-Méry», vol. 7, folio 172).
On se demande ce qu’il restait à faire aux administrateurs de la ville quand l’intendant de la colonie réglait lui-même de pareils détails. L’on comprendra que les officiers civils, devenus purement fonctionnaires, n’apparaissent plus guère dans la suite de cette histoire. Ce sont des officiers de parade, de simples figurants, dont les fonctions réelles sont exercées par le gouvernement central du Canada.
Le canal de Lachine
Aux travaux de défense, entrepris par la couronne, s’en ajoutèrent d’autres d’utilité économique, dus à l’initiative des Seigneurs. À la fin du XVIIe siècle, les Sulpiciens Dollier de Casson et de Breslay avaient conçu le projet d’un canal entre Lachine et Montréal pour éviter les rapides du saut Saint-Louis.
En diverses occasions, on fait mention des plans, de travaux préliminaires, d’achats de terrains pour les tracés du canal. En 1706, le sieur de Beaucourt, ingénieur habile, bon capitaine, propre à tout, fit une inspection du canal. Il le fait pour le compte du gouverneur et de l’intendant. À cette époque, le Séminaire avait déjà dépensé 20 000 livres en travaux de creusage et autres.
Il était prêt à consentir de nouveaux déboursés, si le roi voulait contribuer à la dépense. ( Archives de la Marine: Série C II, vol. 3, folio 54).
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En 1714, M. de Breslay avait découvert des gisements de marbre à environ vingt lieues de Montréal. Il proposa à la cour d’élargir et de parachever le canal commencé pour le transport plus économique du produit de la marbrière par voie d’eau, de la mine même en Europe. Le roi ne crut pas le projet praticable. En fait, il se doutait à cause de la grande dépense des travaux de creusage et de maçonnerie des écluses. (( D’ailleurs, disait-il, ce marbre n’est pas assez beau pour mériter une aussi grande dépense. (Mémoire du roi à Bégon, 22 mars 1714. — Archives de la Marine, Série B, vol. 36, folio 362).
Le canal, dont il est ici question, ne dut jamais servir qu’au passage des canots et des petites barques. On ne voit pas qu’il ait jamais été entièrement terminé sur tout son parcours. Si on le compare avec les plans primitifs, sous le régime français. En tout cas, les travaux d’agrandissement ne furent repris qu’en 1825 par le gouvernement anglais. Il l’a fait avec le concours de la Législature du Bas-Canada.