Rivalités des compagnies canadiennes au XIXe siècle
La Compagnie du Nord-Ouest était à peine formée que certains des associés, mécontents de la part qu’on leur faisait des profits de la traite, s’en détachèrent pour entrer dans la « Nouvelle Compagnie du Nord-Ouest » organisée par Gregory McLeod & Cie. Les rivalités et les violences recommencèrent à nouveau. La société cadette avait alors à son service Alexander MacKenzie et son cousin Roderick MacKenzie. Le premier découvrit un passage à travers les montagnes Rocheuses vers la côte du Pacifique. Le second fut l’un des principaux facteurs des succès commerciaux de l’avenir.
Mais l’antagonisme des deux compagnies rivales nuisait aux intérêts de chacune. On s’aperçut bientôt que dans les postes, où leurs agents s’entendaient bien, la traite était beaucoup plus fructueuse. Dans les autres, la chicane n’amenait que la confusion, le désordre et parfois le meurtre. Peter Bond, l’un des associés, fut même accusé d’avoir favorisé l’assassinat de l’un des bourgeois, nommé Ross. Effrayés de la tournure et des conséquences de leurs différends, les Bourgeois du Nord-Ouest, comme on appelait les trafiquants du nord, décidèrent, à l’exemple de leurs employés, d’unir leurs intérêts commerciaux dans une seule Compagnie du Nord-Ouest.
Dix ans plus tard, la Compagnie ne comprenait pas moins de quarante-cinq maisons associées. Elle exploitait alors le commerce lucratif de la traite des pelleteries. Dans la suite, on relève des noms canadiens parmi les Bourgeois du Nord-Ouest tels que Charles Chaboillez, N. Montour, François-Antoine Larocque, Pierre Rastel de Rocheblave.
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La situation des nôtres s’était donc améliorée.
Mais voici que la discorde se jette une seconde fois en travers de l’entreprise. Simon McTavish, qui redoutait, pour sa propre influence dans la Compagnie, l’ascendant que prenait Alexander MacKenzie, par suite de ses découvertes et son grand esprit d’initiative, s’employa à mettre de la brouille parmi les Bourgeois et fut cause d’une nouvelle scission; les mécontents, que fit sa conduite hargneuse et autoritaire, se détachèrent du monopole et formèrent avec MacKenzie et Forsyth, Richardson & Cie, la Compagnie X. Y. La rivalité entre les deux groupes dura six ans. A la mort de McTavish, en 1804, tous les Bourgeois du Nord-Ouest se réunirent définitivement dans l’ancienne Compagnie du Nord-Ouest.
En 1811-12, les associés de Montréal entrèrent de nouveau en lutte, avec les Ecossais de lord Selkirk, au service la puissante Compagnie de la Baie d’Hudson. Le conflit dura dix ans, alors que les Bourgeois du Nord-Ouest durent se résoudre, en 1821, à fondre leurs intérêts avec ceux de la Compagnie anglaise. Celle-ci était une véritable maîtresse de tous les territoires, à l’ouest de l’Ontario jusqu’aux montagnes Rocheuses. Montréal perdait pour toujours son commerce de fourrures avec les pays d’en Haut.
Pour apprécier tous les avantages qu’avait retirés Montréal du commerce extérieur qu’elle venait de perdre presque entièrement, nous donnerons un aperçu des activités annuelles auxquelles il donnait lieu. (2 Le meilleur ouvrage sur ce sujet est celui de L.-R. Masson: Les Bourgeois de la Cie du Nord-Ouest, publié en 1889.)
Voyages en canots
Chaque année des centaines de canots, chargés de marchandises d’échange et de provisions, provenant des entrepôts de commerce de la ville partaient de bonne heure au printemps pour les territoires de l’Ouest. Chaque canot avec sa cargaison d’articles d’échange, de rhum ou de vin, était évalué à cinq ou six cents livres. Il en coûtait une moyenne de $600. pour le rendre à destination. Monté chacun par huit, dix ou douze hommes, ils formaient une imposante flottille d’embarcations d’écorces, manœuvrée par douze à quinze cents hommes.
Les préparatifs antérieurs au départ avaient déjà occupé une partie de l’hiver précédent. Les marchandises, arrivées de Londres à l’automne, étaient soumises à un triage de classification, d’après les différents postes, où elles devaient être laissées. On les divisait par ballots (packs) de 80 à 100 livres pour faciliter leur transport à bras dans les nombreux portages, échelonnés sur la route.
Les canots, partis de Lachine, banlieue de Montréal, arrivaient à destination durant l’été ou même à l’automne, selon la distance parcourue et les hasards du voyage.
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Alors commençaient les échanges de marchandises pour les fourrures des sauvages. C’était la partie la plus difficile de l’entreprise à cause de la concurrence, les déplacements continuels des tribus sauvages et du rendement variable des grandes chasses. La récolte des fourrures, ainsi faite dans un champ pratiquement sans limites, prenait alors le chemin de Montréal, où elle arrivait durant l’été. De là, on expédiait les pelleteries en Angleterre pour les distribuer sur les divers marchés de l’Europe.
En 1801, il en fut ainsi expédié pour 371,140 livres sterling que rapportèrent 640,000 peaux de toutes sortes.
Telle était la valeur moyenne de la traite des fourrures.
Ces deux millions de dollars s’ajoutant chaque année au fonds liquide de l’économie commerciale de Montréal, il faut reconnaître que les chefs de cette payante industrie furent d’utiles artisans de progrès et de prospérité.
Alors que la Compagnie de la Baie d’Hudson n’exploitait notre faune, si riche alors, que pour l’avantage direct de l’Angleterre, la Compagnie du Nord-Ouest, faisait bénéficier de son lucratif commerce le Canada d’abord, Montréal surtout, où elle avait son grand centre d’affaires. Elle enrichit ses associés, la plupart citoyens de notre ville, et durant cinquante ans, resta la grande industrie montréalaise. Ces expéditions, reprises chaque année, firent parcourir à des milliers de voyageurs les grandes plaines de l’Ouest et préparèrent les futurs établissements du Canada occidental et de l’Ouest américain.
(D’après « Histoire de Montréal », par Camille Bertrand).
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