Les riches marchands
Alors qu’en quête d’or et d’indigènes à convertir, Espagnols et Portugais exploraient le monde, d’autres nations s’intéressaient aux possibilités commerciales des terres nouvellement découvertes. Parmi celles-ci, la Hollande, pays petit mais vigoureux, réussit à engranger une moisson importante de richesses. Le sens aigu du commerce avait conduit les marchands hollandais à sélectionner de rudes capitaines pour leurs vaisseaux bien armés et, en 1629, ils se targuaient à juste titre d’«avoir chassé des mers les autres nations, de contrôler à la source presque tous les genres de commerce ».
Ainsi la Hollande devint-elle le plus gros importateur et distributeur en Europe de certaines marchandises, le sucre, les épices, la porcelaine, les perles destinées à la décoration.
Les énormes profits réalisés servaient en premier lieu à satisfaire des plaisirs bourgeois, tels que garnir la maison de meubles de prix, s’habiller luxueusement, tenir une bonne table mais, lorsque ces dépenses ne suffisaient pas à juguler un enrichissement sans cesse croissant, les Hollandais s’intéressaient à l’art ; afin de perpétuer leur opulence pour la postérité ils demandaient souvent aux artistes de les représenter avec leurs richesses. Ces tableaux, initialement de simples sous-produits de la fortune, sont devenus des pièces historiques, qui traduisent les réalisations de la Hollande du XVIIe siècle.
La mer a exercé une grande influence sur le développement des Pays-Bas en leur assurant les moyens et les servitudes d’un commerce maritime florissant. Les ports de la mer du Nord avaient toujours permis aux Hollandais de commercer avec le reste de l’Europe ; ils constituaient aussi une fenêtre ouverte sur le Nouveau Monde.
La mer exigeait en quelque sorte que les Hollandais vécussent du commerce maritime ; les deux cinquièmes de la surface du pays se trouvaient au-dessus du niveau de la mer. Les dunes, les marais, les lacs limitaient l’étendue des terres arables. La population, dans sa majeure partie, dépendait donc pour vivre du commerce maritime.
Jacques Cœur – Un marchand d’exception
La réussite de Jacques Cœur constitue une exception – certes particulièrement notable – dans l’histoire des entreprises commerciales françaises précapitalistes.
Né vraisemblablement en 1395, dans une famille de marchands pelletiers installée à Bourges, il réussit à amasser une fortune considérable, qui en fait un des plus riches Français de tous les temps. Vers 1450, il possède une flotte commerciale, des comptoirs et résidences dans les principales villes du royaume (Paris, Lyon, Marseille, Montpellier, Narbonne, Angers…), des mines d’argent et de cuivre dans le Lyonnais, une liste impressionnante de propriétés foncières – terres et châtellenies – principalement dans le centre de la France, et a entrepris la construction de son célèbre palais de Bourges, considéré comme le chef-d’œuvre de l’architecture civile pré Renaissance en France.
Le secret de son succès réside à la fois dans son sens aigu des affaires, dans sa connaissance des pratiques financières, dans son opportunisme permanent et dans sa proximité du milieu royal : cela lui permet d’exercer des fonctions diverses et parfaitement complémentaire.
Son chemin de Damas
Sa première décision heureuse est d’épouser la fille du prévôt de Bourges, Macée de Léodepart, cette ville devenant le centre politique et le dernier bastion de la France fidèle au futur Charles VII, dans les années 1420. Durant cette période, il s’associe pour tenir la frappe des monnaies à Bourges, et est d’ailleurs condamné à payer une forte amende pour avoir émis des pièces ne contenant pas la teneur légale en argent. Cette affaire de mauvaise monnaie l’amène à chercher d’autres formes d’enrichissement, et il effectue vers 1430 un voyage au Moyen-Orient (dans le même temps où Jeanne d’Arc venait à Bourges convaincre Charles VII d’entreprendre la reconquête du royaume). Il découvre en Egypte, à Damas, à Chypre, une intense activité commerciale internationale des marchands venant de tout le pourtour méditerranéen (la France exceptée), des produits provenant d’Afrique et d’Asie, et d’autres importés d’Europe. Il comprend alors que le seul commerce véritablement lucratif et celui qui déplace des marchandises relativement abondantes dans un pays pour les vendre beaucoup plus cher là où elles sont rares.
Rentré en France, il se lance dans le grand commerce international, exportant de France des draps et couvertures, des armes, du bois, des métaux industriels, et de l’argent (qui s’échange en Orient contre un poids égal d’or, alors qu’en Europe l’or vaut le double de l’argent). Il importe de la laine et la soie, du coton et des tapis, des pierres et des perles, des épices alimentaires ou pharmaceutiques, du savon, des colorants, du vin et des fruits confits, même des plumes d’autruches, pour orner les heaumes des tournoyeurs !
Marchand, banquier, conseiller et diplomate
Tous ses produits s’adressent, bien sûr, à une clientèle française fortunée, que Jacques Cœur réussit à toucher en devenant fournisseur de la Cour. Mais il doit aussi, pour s’attacher la faveur des grands, devenir leur créancier : c’est ainsi qu’il prête de l’argent à la reine de France elle-même et à sa fille, au comte du Maine, au Batard d’Orléans, au comte d’Armagnac, au comte de Foix, à Poton de Xaintraille, maréchal de France, à Gaspart Bureau, maître de l’artillerie royale, et à bien d’autres nobles, officiers royaux et marchands. On voit apparaître ainsi les limites de ce trafic (puisque le vendeur doit contribuer à financer ses acheteurs); on comprend ainsi comment Jacques Cœur peut acquérir autant de biens immobiliers, souvent bradés par une noblesse à court de liquidités. Pour parvenir à ses fins, Jacques Cœur a su se procurer une série d’atouts économiques et de protections politiques : ses mines lui fournissent des métaux pour l’exportation, la faveur dont il jouit auprès du roi, qui en fait son grand Argentier, lui permet d’être investi de missions diplomatiques comme celle qu’il mène auprès du Pape Eugène IV; il obtient ainsi l’autorisation de l’Église de commercer avec les infidèles, mais aussi celle du sultan d’Égypte de séjourner dans ses ports. Introduit au Conseil du Roi, il participe à l’élaboration de la réforme des finances et de l’armée, il cherche à limiter les péages intérieurs; visiteur général des Gabelles en Languedoc, il est chargé de l’installation du nouveau Parlement de cette province. Toutes ces tâches ne sont pas bénévoles : elles lui apportent un revenu direct en tant que serviteur du roi, mais aussi des protections et nouvelles ouvertures commerciales. De même, s’il avance 200 000 écus d’or à Charles VII pour reconquérir la Normandie en 1450, il s’empresse, sitôt Rouen reprise, d’ouvrir une maison de commerce dans cette ville.
Un destin romanesque
Mais son extraordinaire ascension sociale et économique, son anoblissement et son influence auprès du roi ne peuvent que lui attirer jalousie et hostilité. Ceux qui ont intérêt à sa perte obtiennent de Charles VII son emprisonnement en 1451, et la confiscation de ses biens : on l’accuse d’abord d’avoir fait empoisonner Agnès Sorel, maîtresse du roi, puis cela s’avérant sans fondement, de diverses fautes (comme d’avoir battu de la fausse monnaie vingt ans auparavant, d’avoir vendu des armes aux musulmans, d’avoir abusé de ses fonctions…). Condamné à une humiliante amende honorable devant le roi et à payer une somme exorbitante pour recouvrer sa liberté, il réussit à s’évader de prison en 1453, se réfugie en Rome, où le Pape le protège et lui confie le commandement d’une flotte allant combattre les Turcs qui viennent de prendre Constantinople. Il meurt durant cette expédition dans l’île de Chio, en 1456.