Révolution industrielle en France

La Révolution industrielle en France

Elle y connaît des débuts hésitants et difficiles, la France ne prenant pas, comme la Grande-Bretagne à la fin du XVIIIe siècle, le tournant décisif vers le capitalisme industriel.

Vers 1789

Les temps troublés de la Révolution expliquent en partie le retard français par rapport à la Grande-Bretagne, que l’on observe au début du XIXe siècle. En effet, alors que Hargreaves, Arkwright et Compton ont bouleversé les techniques de filature avec la « Jenny », la « mule » et le « water-frame », dans les années 1760 – 1780, et si en 1785, grâce à la mécanisation, le cardage coûte vingt fois moins cher en Angleterre qu’en France, les Français semblent alors prêts à emboîter le pas aux Anglais : un arrêt de 1762 donne aux campagnes françaises le droit de filer et de tisser, des Écoles d’apprentissage sont créées un peu partout, et des « espions industriels » envoyés en Angleterre.

Calonne, ministre de Louis XVI, estime de plus que si les machines anglaises doivent se révéler efficaces, les Français en disposeront quelques mois plus tard et sauront les diffuser plus vite que les Anglais, retardés par les usages restrictifs associés aux brevets d’exclusivité. D’ailleurs, si Hargreaves met au point la « jenny » en 1767, John Holker, un Anglais nommé en 1755 inspecteur des manufactures étrangères en France, l’importe en 1771 et la fait copier. De même, si en 1782 Arwright a équipé 5 usines avec des « water-frames », J.-F. Martin et A. de Fontenay en rapportent les plans; Calonne favorise leur fabrication, et la France compte en 1785 trois filatures mécaniques et dix en 1790. Évoquons aussi la « mule » de Crompton, mise au point en 1779, et qui révolutionne le filage en permettant de fabriquer à la machine des toiles fines : elle se généralise rapidement en Grande-Bretagne, mais elle est également introduite en France par les Morgan à Amiens en 1788, par Thomas Leclerc à Brive, et devait être diffusée par Pickford en 1790.

C’est sans doute la raison pour laquelle Calonne pousse à la signature du traité de libre échange avec l’Angleterre (1786) car il n’en redoute pas la concurrence industrielle et attend un développement des exportations françaises de produits agricoles.

Mais l’instabilité politique, les difficultés d’approvisionnement, l’effort de guerre ralentissent l’industrialisation française. Celle-ci est en effet incapable de passer à l’étape suivante constituée par l’emploi de la machine à vapeur dans la filature du coton.

Les premières inventions restent en effet fortement utilisatrices de main-d’œuvre. Mais en 1782, James Watt invente une machine assurant un mouvement uniforme et continu, qui est employée en 1790 pour actionner les « mules ». De plus, ces machines permettent d’augmenter le nombre de broches par métier mécanique.

Ainsi, en 1792, on dénombre en Grande-Bretagne 46 machines à vapeur dans l’industrie textile (développant une puissance de 519 chevaux – vapeur), 143 en 1800 (2 172 ch) et 264 en 1815 (4 728 ch), alors qu’en France et en Belgique, les filatures n’utilisent que 6 machines à vapeur en 1806.

Dans le secteur décisif du coton et de sa filature, l’Angleterre conserve encore une avance significative dans les année 1830, alors qu’elle consomme 3 000 tonnes de coton en 1780, elle en utilise 25 000 tonnes en 1800, 70 000 en 1820 et 140 000 en 1835, soit quatre fois plus que la France. De même, la Grande-Bretagne possède à la même époque 11 millions de broches et la France 3 millions seulement, 90 métiers mécaniques contre 5 000 à la France.

 Le tournant de la fin du 18e siècle

Les années 1790 – 1820 constituent donc un tournant décisif permettant à la Grande-Bretagne de devancer sur le plan industriel ses concurrents européens entraînés dans l’aventure meurtrière des guerres continentales.

Il ne faut cependant pas rendre la Révolution et les guerres seules responsables du retard français. Contrairement à ce que pense Calonne, le traité de 1786 révèle la faiblesse du secteur manufacturier français dont la mécanisation est encore au stade expérimental, alors qu’elle est déjà bien engagée en Grande-Bretagne.

On peut à ce propos évoquer l’exemple du métier à tisser entièrement automatique inventé par Jacques de Vaucanson (1709 – 1782), qui peut être actionné par une chute d’eau, ou par une traction animale. Mais cette innovation, comme les divers automates qu’il confectionne et le principe de la machine-outil qu’il conçoit, ne débouche pas immédiatement sur des applications industrielles. Ses inventions sont regroupées au Conservatoire des Arts et Métiers, en 1794; mais c’est surtout Joseph-Marie Jacquard (1752 – 1834) qui le perfectionne en lui ajoutant un procédé de sélection par cartons perforés (lui-même imaginé dès 1728 par Falcon), et qui l’utilise véritablement comme outil de production au début des années 1800.

La crise des métiers traditionnels et la montée du chômage qui suit l’ouverture des frontières en 1786, sanctionnent se retard français. Il se serait d’ailleurs peut-être accru bien davantage si la Révolution française n’avait pas balayé l’organisation corporatiste et les privilèges de l’Ancien Régime et mis en place une législation et un système de formation nécessaires au développement d’un autre mode de production. De ce point de vue, les années révolutionnaires et celles de l’Empire peuvent s’analyser comme une période de transition, durant laquelle la société française adapte ses structures politiques et juridiques aux besoins du capitalisme en formation, mais cherche aussi dans la guerre et l’expansion territoriale une solution à son manque de compétitivité face à son concurrent anglais. La politique économique suivie par Napoléon est à cet égard révélatrice.

Le Blocus continental (1806)

C’est la victoire contre la Prusse que Napoléon décide, de Berlin, le blocus économique de l’Angleterre (21 novembre 1806). Il s’agit d’y provoquer une crise en interdisant les exportations anglaises de produits industriels et les ré-exportations de produits primaires transformés dans ce pays, puis vendues en Europe. Le Directoire a déjà prohibé le commerce avec l’Angleterre, et en mai 1806, les Anglais interdisent les exportations vers les ports français. Le décret de Berlin constitue donc une réplique aux décisions anglaises.

Par la suite, le décret de Fontainebleau (13 octobre 1807) considère comme anglais les produits coloniaux ou manufacturés dont l’Angleterre a le monopole, puis le décret de Milan (23 novembre 1807) décide que tout navire contrôlé par les Anglais est considéré comme anglais. Le blocus s’intensifie des deux côtés et rend bien difficile le respect d’une stricte neutralité; il implique de plus une surveillance accrue et de nouvelles conquêtes.

Cette protection douanière favorise l’expansion de l’industrie, textile en particulier, dont la vitalité est déjà attestée par les expositions de 1801 et 1802 qui se tiennent dans la cour de Louvre. Puis les conquêtes européennes ouvrent des marchés à la production française au détriment des produits anglais. C’est l’époque où se constituent de grandes entreprises capitalistes. Dans le secteur textile, les plus célèbres réussites sont celles de Richard et Lenoir (filature et tissage du coton), Oberkampf (toiles indiennes), Dollfuss et Schlumberger (utilisant en Alsace des techniques anglaises), alors que Jacquard met au point son métier à soie. Dans d’autres domaines, De Wendel modernise et développe la production de fonte; en Lorraine la production minière est stimulée par la demande des usines métallurgiques; l’industrie chimique apparaît (Leblanc, Darcet), l’horlogerie (Japy, Bréquet) et la papeterie (Didot) se transforment. Ces capitaines d’industrie, comme l’activité des banquiers audacieux, tels Ouvrard ou Périer, témoignent de ces quelques années de grand dynamisme capitaliste.

Il est de plus fortement favorisé par l’action de l’État, mettant en place un cadre juridique favorable à la propriété privée, créant les grandes écoles d’ingénieurs (Mines, Polytechnique) et développant une législation anti-ouvrière.

Mais les pillages et tributs imposés aux nations vaincues ou « alliées » de la France réduisent d’autant la demande extérieure pour les marchandises françaises. En outre, le Blocus finit par provoquer des difficultés d’approvisionnement, aussi bien en France qu’en Angleterre. Associées à la contraction des débouchés et à de mauvaises récoltes, elles entraînent la crise de 1810 – 1811.

Jusqu’alors, les efforts de développement de l’agriculture (blé, élevage, pommes de terre, vignoble) et celui des produits de substitution aux importations devenues impossibles (betteraves à sucre, plantes tinctoriales) ont permis une relative prospérité du monde rural et un approvisionnement satisfaisant du reste de la population.

Mais la crise de 1811, le mauvais rendement des impôts impériaux, le coût élevé des dépenses militaires vont entraîner une aggravation de la pression fiscale intérieure, puis le recours à une conscription plus exigeante, touchant la classe paysanne. Parallèlement, l’intensification de la guerre et le rétrécissement de l’empire remettent en cause l’essor industriel.

 Après 1815

Le retour de la paix favorise la reprise de la production agricole, mais ne suffit pas à provoquer un « décollage » de l’industrialisation pour des raisons tenant à la fois à la prépondérance du monde rural, au conservatisme du pouvoir politique, à la résistance du milieu artisanal, et à la rareté des entrepreneurs industriels.

Pourtant, les rapports de production capitalistes se développent dans l’industrie qui absorbe progressivement l’artisanat traditionnel: le pouvoir discrétionnaire du patronat « de droit divin » perdure jusqu’aux années 1880 pour le moins; l’attrait pour la spéculation financière et le placement lucratif de l’épargne gagne les couches supérieures et moyennes de la société française.

Mais le maintien d’une petite paysannerie parcellaire de subsistance ralentit l’exode rural, et la précarité des revenus agricoles freine l’élargissement d’un marché intérieur déjà handicapé par les baisses périodiques du pouvoir d’achat ouvrier.

Ainsi peut s’expliquer la langueur de l’investissement industriel, peu attrayant en raison de profits incertains, et financé trop tardivement par un système bancaire qui ne voit le jour qu’après le milieu du siècle. Les épargnants préfèrent longtemps les placements « sûrs », constitués par des achats immobiliers ou des rentes d’États étrangers, comportement peu propice à un développement industriel spectaculaire.

 L’Angleterre à l’origine de la révolution industrielle

De 1540 à 1640, une première révolution industrielle est attestée par la croissance de la production de charbon et par celle des manufactures (verre, briqueterie) utilisant une main-d’œuvre salariée Durant le XVIIIe siècle, les révolutions politiques donnent le pouvoir à la bourgeoisie : la Banque d’Angleterre est créée en 1694.

Puis l’Angleterre devient maîtresse des mers; cela lui assure l’approvisionnement en matières premières, lui procure les profits du transport et stimule son activité. Au XVIIIe siècle les grands propriétaires fonciers rentabilisent leur exploitations en imposant le remembrement. Cela ruine la paysannerie parcellaire qui doit travailler à domicile pour les marchands du textile, puis se voit contrainte de se déplacer vers les régions d’industries naissantes.

L’ensemble de ces transformations économiques est lié à « l’éthique protestante » imposant un ascétisme séculier favorable à l’épargne et à l’investissement, et donc à l’accumulation de capital.

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La façade d'un bâtiment industriel du XIXe siècle. Photo par Megan Jorgensen.
« L’âme humaine ne s’explique pas par la psychologie. Elle ne peut être expliquée, elle est à vivre. » (Tahar Ben Jelloun, écrivain marocain). La façade d’un bâtiment industriel du XIXe siècle. Photo par Megan Jorgensen.

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