Quartier de Saint-Henri et sa présentation dans le roman Bonheur d’occasion de Gabrielle Roy
Le quartier de Saint-Henri est localisé au nord du canal de Lachine. En développement comme un secteur industriel, avec un grand nombre de forges, de tanneries, des chantiers desservant le chemin de fer et d’autres industries, les rues industrielles de ce secteur ont été composées d’une série de logements ouvriers qui formèrent un environnement hétérogène. On devait l’atmosphère informelle de ce secteur à sa faible densité et à l’implantation particulière d’habitations de petit gabarit, qui faisaient face aux grands édifices industriels de la Canada Malting et de la Brasserie McAuslan.
Le canal de Lachine était d’ailleurs bordé de petites maisons ouvrières en rangée de deux étages, d’apparence modeste, présentant des façades aux revêtements variés.
Aujourd’hui, de nouveaux immeubles d’appartements de trois niveaux ou plus, recouverts de brique rouge, y ont été construits.
La construction du canal de Lachine, entre 1821 et 1825, permet aux embarcations de contourner les rapides de Lachine. Mais cette nouvelle infrastructure a alors peu d’impact sur le développement urbain de Saint-Henri. Le territoire situé entre le bourg de Saint-Henri et le canal, au sud, comprenant le secteur Saint-Ambroise, conserve une vocation essentiellement agricole. Le cours sinueux de la rivière Saint-Pierre traverse le secteur, à cette époque, au nord de l’actuelle rue Saint-Ambroise.
L’urbanisation de Saint-Henri débute véritablement vers 1850, quand les premières constructions résidentielles apparaissent au nord-est du secteur, pour loger la main-d’œuvre ouvrière émigrée des campagnes environnantes et des îles britanniques.
Ces lotissements se développent et rejoignent rapidement le secteur. après les travaux d’élargissement du canal de Lachine (entre 1843 et 1848), permettant ainsi le développement de son potentiel hydraulique. C’est à cette époque que plusieurs industries s’installent le long du canal de Lachine, à proximité du chemin de fer mis en service en 1847.
Voici quelques extraits du roman « Bonheur d’occasion » présentant le quartier Saint-Henri au début des années 1940:
- Au contraire, à mesure qu’elle allait, elle (Rose-Anne) se l’imaginait isolé, tout petit, et regrettant dans ce grand silence le passage des trains qui ébranlaient leur logis à Saint-Henri.
- Chez nous ! Il était vieux ce mot-là, un des premiers qu’ils eussent appris, eux, les enfants. Il venait sur les lèvres inconsciemment, à toutes les heures du jour. Il avait servi tant, tant de fois. C’était bien ce mot-là qu’on employait naguère pour désigner un logis humide au sous-sol, rue Saint-Jacques. C’était encore ce mot-là qui leur rappelait les trois petites pièces brûlantes au faîte d’un immeuble crasseux, rue Saint-Antoine. Chez nous, c’était un mot élastique et, à certaines heures, incompréhensible, parce qu’il évoquait non pas un seul lieu, mais une vingtaine d’abris éparpillés dans le faubourg. Il contenait des regrets, des nostalgies et, toujours, une parcelle d’incertitude. Il s’apparentait à la migration annuelle. Il avait la couleur des saisons. Il sonnait au cœur comme une fuite, comme un départ imprévu ; et quand on l’entendait, on croyait entendre aussi, au fond de la mémoire, le cri aigu des oiseaux voyageurs.
- Emmanuel descendit du train à la gare de Saint-Henri vers neuf heures, un samedi soir. La nuit était fraîche, très douce, avec des étoiles lointaines qui brillaient à travers une résille de nuages.
- C’était un soir langoureux, déjà chaud, traversé incessamment du cri de la sirène, et qui baignait dans l’odeur des biscuiteries. Loin derrière cet arôme fade, une haleine d’épices chassée par le vent du sud montait des régions basses au long du canal et arrivait par bouffées sucrées jusqu’à la butte où Saint-Henri se hausse de quelques pieds.
- Un soir tel qu’il n’y en a pas deux par an dans le faubourg, tel qu’il ne s’en trouve nulle part ailleurs dans les quartiers environnants que ne visitent point ces odeurs d’épices ou ces souffles d’illusions.
- Un de ces soirs où le peuple besogneux de fileurs, de lamineurs, de puddleurs, d’ouvrières, semble avoir déserté les maisons d’un commun accord et s’être mis en route, rue Notre-Dame, vers quelque aventure. Lui aussi, souvent, avait erré par des nuits pareilles, cherchant il ne savait quelle mystérieuse joie à la mesure du ciel étendu sur sa tête comme un envoûtement.
- Il s’aventura jusqu’au bout du quai. Et là, bien planté en pleine odeur et vision familières, il leva les yeux vers le faubourg. Son village dans la grande ville ! Car nul quartier de Montréal n’a conservé ses limites précises, sa vie de village, particulière, étroite, caractérisée, comme Saint-Henri.
- Des enfants jouaient à la marelle tout autour de la gare et leurs cris s’entendaient à travers les sifflements de la locomotive qui avait repris de la vitesse et dévalait entre les cours, les arbres maigres, les cordes tendues où séchait le linge, entre ces aperçus d’intimité, mornes, rapides, que les trains découvrent en traversant les villes.
- Il se trouva bientôt dans la rue Sainte-Émilie, faiblement éclairée, avec ses petites boutiques à balcons ornés et à toits à clochetons qui se donnent une réplique à peu près identique à chaque coin de rue. Parfois, en passant sous une clignotante lampe à arc, Jean voyait les façades ruisselantes avec de longs zigzags couleur rouille là où l’eau depuis longtemps choisissait le même chemin de descente. Sous un vent du sud très doux qui s’était levé à la tombée de la nuit, la neige fondait. On l’entendait presque se dissoudre, se perdre en ruisselets d’eau salie dans le silence de la rue déserte. De tous les toits, de toutes les branches ramollies, de près, de loin, elle s’écrasait dans un bruit de pluie, continu et triste.
- Du Mont-Royal, s’allongeant jusqu’au-dessus de Saint-Henri, elle (Marie-Rose) ne connaissait que l’oratoire Saint-Joseph et le cimetière où les gens d’en bas vont comme ceux d’en haut mettre leurs morts en terre.
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