Projets de l’assimilation des Québécois francophones

Assimilation planifiée des Québécois francophones

Les militaires  britanniques qui administrèrent la colonie de l’ancienne Nouvelle-France immédiatement après les capitulations de Québec et de Montréal n’étaient pas des colonisateurs mais des soldats de carrière. Ils avaient d’abord la responsabilité de soumettre la population conquise. Ils s’acquittèrent de cette tâche ingrate avec beaucoup d’habilité Les rapports qu’ils préparèrent à l’intention du gouvernement impérial et leur correspondance avec les ministres se limitèrent à renseigner ceux-ci sur le comportement des Canadiens, sur les problèmes immédiats auxquels les conquérants devant faire face et sur les ressources de la colonie. On y chercherait en vain un programme de colonisation britannique.

Murray, Burton et Cage ne doutent pas que l’Angleterre jugera avantageux de conserver le Canada, ma is aucun d’entre eux ne prévoit que la vallée du Saint-Laurent pourrait se peupler de colons anglais. Pour eux, tout le problème se limite à rallier les Canadiens au nouveau régime et à gagner leur obéissance. Ils espèrent y parvenir en les traitant avec justice et générosité tout en leur faisant sentir la force dont ils disposent. Loid de songer à une immigration britannique, le gouverneur de Québec propose même d’encourager les protestants français « à venir jouir ici au milieu d’une population de leur origine, parlant leur langue et pratiquant leurs coutumes, de cette liberté religieuse après laquelle ils soupirent si ardemment. De plus, la réalisation d’un tel projet opérerait peut-être graduellement une réforme, du moins elle convaincrait les Canadiens qu’il n’y a rien dans notre sainte religion d’incompatible avec la vertu et la moralité ». Cette proposition est réellement étonnante. Non seulement Murray n’était pas un colonisateur mais son prosélytisme protestant manquait de vision. La meilleure façon de convertir les Canadiens au protestantisme ou, du moins, de leur faire abandonner leur religion, n’était-elle pas d’établir dans la colonie conquise des milliers d’immigrants anglo-protestants selon le plan de Franklin ? Au lieu d’augmenter le nombre de francophones, il était certainement plus habile de noyer les Canadiens au sein d’une population anglo-protestante. Mais Murray ne semble pas y avoir songé. Il affirme même que la collectivité canadienne s’accroîtra considérablement durant les vingt prochaines années.

Burton et Gage s’attendent à l’émigration des classes dirigeantes si la colonie demeure possession anglaise. Ils sont convaincus que les autres Canadiens formeront de bons et dociles sujets du roi de Grande-Bretagne. Gage se méfie des Croix de Saint-Louis et voudrait qu’on habitue les Canadiens à obéir promptement aux autorités britanniques.

L’ancien gouverneur de Montréal semble même s’imaginer qu’une fusion des collectivités en présence s’opérera facilement et rapidement. Il déclare à Haldimand combien il est heureux d’apprendre que plusieurs officiers de l’armée anglaise ont décidé de se fixer au Canada. Il compte sur eux pour « changer la race » et espère que la « prochaine génération sera tout le contraire des ancêtres ». A cette condition, les Canadiens « deviendront le meilleur peuple du monde. » Mais à ce moment-là auraient-ils été encore des Canadiens ? Gage ne va pas jusqu’au bout de sa pensée. D’ailleurs, celle-ci apparaît très confuse. A-t-il sérieusement cru que quelques dizaines d’officiers britanniques établis dans la colonie conquise transformeraient et assimileraient en moins de trente ans quelque 70 000 Canadiens ?

Peut-on lui prêter tant de naïveté ? Toutefois, il ne faut pas oublier que tous les conquérants entretiennent l’illusion qu’ils n’auront aucune difficulté à s’incorporer les peuples qu’ils ont subjugués. Leur victoire leur donne un complexe de supériorité. Ils se convainquent que les vaincus, qu’ils considèrent spontanément comme des êtres inférieurs, seront heureux et flattés de se hausser à leur niveau et de devenir ainsi semblables à leurs vainqueurs. Ils sont toujours étonnés et scandalisés lorsqu’ils découvrent que leur programme ne se réalise pas tel que prévu.

Les militaires chargés d’éclairer le gouvernement britannique n’avaient aucune vue d’ensemble sur le problème colonial en Amérique du Nord. Leurs horizons étaient très limités. Ils n’avaient certes pas la lucidité et la vision de Franklin et des expansionnistes américains. Ceux-ci avaient réclamé l’acquisition du Canada afin d’étendre la colonisation britannique sur tout le continent à l’est et au nord des possessions espagnoles. Ils avaient aussi affirmé que la nation anglaise établirait dans la vallée du Saint-Laurent une nouvelle collectivité coloniale qui assimilerait complètement les Canadiens. Mais ils savaient que la réalisation de ce vaste projet exigeait immédiatement la mise en vigueur d’une politique d’immigration massive dans la colonie conquise. Ils n’avaient pas l’inconscience de s’imaginer qu’il serait possible d’assimiler les Canadiens si on n’installait pas au milieu d’eux des milliers d’immigrants anglo-protestants.

(Les Canadiens après la Conquête 1759/1775. De la Révolution canadienne à la Révolution américaine, FIDES, 1968.)

Pour compléter la lecture :

Place Jacques Cartier Assimilation planifiée
Place Jacques-Cartier de Montréal. Photographie : Histoire du Québec.ca.

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