Professions masculines et professions féminines au Québec au XXe siècle
Partout dans le monde, les femmes doivent mener des luttes acharnées pour pénétrer dans les professions libérales, d’abord pour accéder à l’enseignement supérieur, ensuite pour vaincre les préjugés des universités ou des corporations professionnelles. En 1918, l’université McGill ouvre sa faculté de médecine aux femmes, alors que l’Université de Montréal le fera seulement dans les années 1930. La pratique du droit sera permise aux femmes en 1941, et celle du notariat, en 1956.
L’élite canadienne-française garde jalousement l’accès des professions les plus prestigieuses afin de laisser les femmes à la maison et dans les professions moins bien rémunérées, comme celle d’infirmière et d’enseignante.
La professionnalisation du métier d’infirmière se dessine au tournant du 20e siècle. À ce moment, tout ceux qui peuvent éviter de se faire soigner à l’hôpital, le font, car ceux-ci sont surpeuplés, sales et porteurs de maladies. Le développement de la science médicale crée une demande de travailleurs hospitaliers ayant une bonne formation de base. Le savoir médical devient le monopole de ceux qui sortent des écoles de médecine, et le service médical se centralise dans les hôpitaux. L’institution des services de santé contribue à évacuer les praticiennes indépendantes et, comme très peu de femmes accèdent à la profession médicale, elles deviennent infirmières.
En 1875, désirant offrir une formation adéquate aux infirmières, le Montréal Général Hôpital demande conseil à la fondatrice de la profession, Florence Nightingale. Elle délègue une diplômée de l’école qu’elle avait fondée en 1860. Cette jeune fille, raconte Judy Coburn, qui a examiné l’histoire des infirmières, est horrifiée de l’état sanitaire de l’hôpital et elle démissionne, de même que les trois infirmières qui lui succéderont. L’argent de l’hôpital sert, entre autres, à acheter du champagne pour les patients devant être opérés, afin de leur donner du courage, et les infirmières demeurent dans un vieil édifice où la neige pénètre facilement. On leur inculque une morale puritaine qui impose les valeurs de la classe bourgeoise aux filles de la classe ouvrière. Finalement, l’école ouvre en 1890. Les hôpitaux constatent rapidement les économies qu’ils peuvent réaliser en formant les infirmières et on retrouve soixante-dix écoles au Canada en 1909. Rapidement, la formation est étendue à trois ans, ce qui permet une exploitation éhontée, car les infirmières en formation ne gagnent à peu près rien.
Le fait pour les francophones d’avoir à subir la concurrence des religieuses leur rend difficile l’accès à la carrière d’infirmière. Ce n’est qu’en 1897 qu’un cours d’infirmière est offert à des laïques en langue française à l’hôpital Notre-Dame.
Les batailles pour obtenir une législation contrôlant l’accès à la profession pour les femmes sont longues. En 1922, c’est chose faite dans toutes les provinces canadiennes, mais les législations sont loin d’être parfaites et permettent encore de nombreux abus dans les conditions de travail. L’accès à l’université est ardu. Au Québec, l’université McGill offre, vers 1920, un diplôme de premier niveau aux infirmières. Les conditions de travail vont cependant demeurer pénibles pour de longues années encore.
Le métier d’institutrice, de son côté, met en relief le stéréotype parfait de la travailleuse de l’époque, accomplissant « une mission » reliée au rôle maternel de la femme, dans des conditions la plupart du temps pénibles, aussi bien sur le plan matériel que psychologique.
Avant 1960, moins de 10% des institutrices laïques catholiques enseignent dans les villes de Montréal et de Québec. La féminisation du personnel enseignant continue par la suite et, jusqu’en 1950, entre 80 et 88% du personnel enseignant laïque et religieux au Québec est féminin. Cette situation inquiète les autorités scolaires, qui tentent, par des subventions, d’inciter les hommes à prendre des postes d’instituteurs, car « il faut un homme pour former un homme. »
Les institutrices rurales, qui forment le gros des effectifs laïques et catholiques, continuent d’être mal payées, mal logées, mal nourries, et sous la surveillance constante des commissaires, des parents et des curés qui n’hésitent pas à les congédier parce qu’elles ont reçu un jeune homme dans leur classe après les heures de travail, pris un verre de bière à l’hôtel, ou été jugées trop sévères avec un enfant.
Toujours moins bien rémunérées que les institutrices qui enseignent qui enseignent dans les villes, les institutrices rurales doivent aussi voir à l’entretien ménager de leur classe, chauffer le poêle l’hiver, déneiger et partager parfois leur dîner avec les enfants. De plus, ayant difficilement accès au perfectionnement et au recyclage, et possédant une formation souvent assez sommaire, les institutrices laïques catholiques enseignent surtout au niveau élémentaire. Les protestantes, de leur côté, n’ayant pas à faire face à la concurrence des religieuses, ont souvent un meilleur choix de postes.
Les statistiques canadiennes démontrent que, tout au cours de la période 19001960, les enseignants du Québec sont les moins rémunérés du Canada, souligne l’historienne Maryse Thivierge. En 1924, sur 7262 institutrices laïques catholiques dans la province de Québec, 73% reçoivent moins de $350 annuellement. De plus, si on examine certains métiers où les femmes se retrouvent en majorité, on constate que les institutrices sont les moins bien payées. Le temps des vacances scolaires les oblige à se trouver un apport budgétaire supplémentaire. On les voit s’engager comme domestiques, vendre des fruits aux touristes, travailler sans doute gratuitement sur la ferme paternelle. Durant la Dépression, plusieurs institutrices expérimentées sont renvoyées et remplacées par des enseignantes engagées au rabais.
Ces conditions de travail n’incitent pas les institutrices rurales à poursuivre longtemps leur carrière. Entre 1900 et 1964, près de 80% enseignent pendant dix ans ou moins, démontre Maryse Thivierge, en ajoutant que ce sont les institutrices rurales qui pratiquent le moins longtemps, avec une moyenne de 5,84 années, alors que les institutrices urbaines peuvent résister plusieurs années aux pressions exercées sur elles, ajoutées à l’insécurité du lendemain. De plus, même si la loi n’exclut pas officiellement les femmes mariées de l’enseignement, l’usage et les mentalités les excluent pratiquement du marché du travail. Cependant, on voit dans les campagnes les institutrices mariées poursuivre quelque temps leur carrière afin d’empêcher la fermeture de l’école, faute de personnel.
(Tiré de L’histoire des femmes au Québec depuis quatre siècles, par le Collectif Clio).
Voir aussi :