Procès d’Eastview de 1936 et la contraception au Québec
Le procès d’Eastview, en 1936, fournit une somme d’informations intéressantes au sujet de la limitation des naissances au Québec, qui, comme l’indique le nombre d’enfants par famille dans cette époque lointaine, était pratiquée plus souvent qu’on ne l’a cru.
Eastview (aujourd’hui Vanier, arrondissement d’Ottawa) est une banlieue canadienne-française de la région d’Ottawa où le chômage sévit fortement (17,6% des familles vivent du secours direct) et qui compte 71% de catholiques. Une infirmière, Dorothea Palmer, employée par le Parents’ Information Bureau de Kitchener, visite les familles nombreuses pour leur offrir du matériel contraceptif ainsi qu’une brochure décrivant pas moins d’une douzaine de méthodes contraceptives. En 1936, Dorothea Palmer est arrêtée en vertu du Code criminel qui interdit toute promotion et vente de matériel contraceptif.
Le procès se mène en anglais, toutefois. Il s’ouvre par le témoignage des vingt et une femmes qui l’infirmière Palmer a visitées. Diane Dodd, qui a fait l’histoire de ce long procès, rapporte que ces femmes sont toutes catholiques et francophones, sauf une. Par l’intermédiaire du Parents’ Information Bureau, elles ont reçu gratuitement, par la poste, une boîte contenant trois condoms et un tube de gelée contraceptive, ainsi qu’une brochure en français intitulée Le contrôle de la natalité et quelques-unes de ses méthodes les plus simples. Pour obtenir à nouveau des produits, ces femmes doivent payer si elles en ont les moyens financiers. Interrogées par le procureur de la Couronne, la plupart, sauf deux ou trois, répondent qu’elles ne voient aucun mal à la pratique de la contraception.
Le procès d’Eastview amène aussi des Canadiens français à témoigner. Par les francophones, seul un travailleur social se déclare favorable à la contraception. Le Dr J.E. De Haître, opposé à la contraception, n’admet pas moins, lorsqu’il est contre interrogé par la défense, que les avortements sont fréquents et qu’ils pourraient être évités grâce à l’usage de contraceptifs.
Le témoin vedette de la Couronne est le Dr Léon Gérin-Lajoie, professeur de gynécologie à l’Université de Montréal (et aussi fils de la féministe Marie Gerin Lajoie). Ce médecin croit que l’on donne trop d’information médicale à la population; aucune méthode contraceptive, affirme-t-il, ne devrait se pratiquer sans examen médical. Les prescriptions de l’Église au sujet de la contraception sont rigoureuses, et l’encyclique Casti connubii, publiée en 1930, l’interdit explicitement. Malgré cela, il semble qu’au cours du procès des médecins doivent avouer que l’idéal catholique n’est pas toujours facilement applicable. L’interrogatoire du Dr Gérin-Lajoie en témoigne.
Finalement, Dorothea Palmer, passible de deux ans d’emprisonnement, est acquittée en raison du principe que son travail de promotion des contraceptifs est légal, parce qu’inspiré par le bien public.
Peu de temps après le procès, une infirmière du Parent’s Information Bureau œuvre à Montréal. Léa Roback, qui travaille alors à Montréal à organiser le travail des ouvrières de la robe, l’accompagne chez des familles qu’elle connaît. Elle raconte que « cette infirmière était très consciencieuse. Elle expliquait aux femmes comment installer le pessaire (diaphragme). Mais la plupart des maris nous recevaient très mal. Nous avons visité quinze familles et réussi trois fois seulement à faire la démonstration. L’infirmière était très étonnée de L’autorité qu’avaient les maris et de leur volonté de ne pas voir leur femme empêcher la famille. Elle a décidé d’abandonner, ne voulant pas être cause d’ennuis, d’autant plus que le procès d’Eastview avait fait pas mal de bruits. »
(Tiré de L’histoire des femmes au Québec depuis quatre siècles).
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