Pourquoi nous nous battons

Pourquoi nous nous battons

Extrait d’une causerie de M. Jean-Louis Gagnon, journaliste de Québec, à Radio-Canada

Prétendre, comme le veut une propagande habile, inspirée directement par l’ennemi, qu’en déclarant la guerre, le Canada s’est jeté dans la gueule du loup, c’est affirmer que les pouvoirs fascistes sont des gouvernements comme les autres avec qui one peut traiter en toute paix et sécurité. Il est facile pourtant de se rendre compte que les puissances totalitaires n’ont jamais considéré les pactes de non-agression comme des polices s’assurances pour l’avenir, et que leur conception du monde les oblige pour ainsi dire, à poursuivre jusqu’au bout une politique de conquête mondiale. Aussi longtemps que Mussolini faisait mine de prétendre que le fascisme ne pouvait être un objet d’exportation, on pouvait peut-être se laisser prendre au jeu. Mais du moment que l’Allemagne tomba au rang d’état fasciste, il était à prévoir que fatalement une agression en commanderait une autre et qu’aucun accord ne serait possible avec ceux qui transformaient les consulats et les ambassades en maisons de propagande ou en caches d’armes.

Un parallèle fera mieux saisir la différence qui existe entre une nation démocratique et un était totalitaire dans le domaine des relations internationales. Parce qu’elle avait pour principe de ne pas intervenir dans les affaires intérieures de ses alliées, la Grande-Bretagne pouvait en même temps négocier des accords avec le gouvernement socialiste de M. Blum, le gouvernement autoritaire de M. Metaxas et le gouvernement libéral de M. Roosevelt. Mais justement parce que sous le masque du nazisme, le chanceler du Reich entend réaliser l’hégémonie allemande, il a toujours eu soin d’imposer un gouvernement véritablement fasciste à chaque pays qu’il a conquis. Hitler ne traite jamais : il commande. Le général Antonescu en Roumanie, l’abbé Tiszo en Slovaquie et le major Quisling en Norvège ne sont devenus les alliés du Reich qu’à la condition de renverser les parements et de détruire les syndicats ouvriers. Ils se sont d’ailleurs acquittés de leur tâche avec une joie évidente qui laissait percer le double désir de rafler les pleins pouvoirs et de mettre la main sur la Caisse de l’État.

Une telle philosophie politique ne peut conduire qu’à l’occupation graduelle, qu’à la nazification de tous les pays. Et surtout lorsqu’elle est appliquée par de véritables gangsters qui voient dans les pactes de non-agression et les accords internationaux des moyens faciles de distraire l’adversaire et de l’apaiser. Ce qui s’est passé depuis cinq ans prouve que le Canada – pas plus que les pays Bas ou les États balkaniques – n’aurait pu échapper à l’agression de l’Axe, Rome-Berlin-Tokyo.

On peut discuter indéfiniment sur les causes lointaines qui sont à l’origine de confit mondial. Mais il y a un fait indiscutable ou, plus exactement, une série d’agressions dont toute la responsabilité doit retomber uniquement sur l’Allemagne, l’Italie et le Japon. On ne fera croire à personne que ce sont les puissances alliées qui ont violé les engagements pris à Munich et mis en pièces la mosaïque tchécoslovaque.

De même, une longue démonstration n’est pas nécessaire pour établir que la cavalerie polonaise et les lanciers blancs de Smygli-Ridz n’avaient jamais songé à s’attaquer aux divisions blindées du général Keitel. Le 3 septembre 1939, Hitler a délibérément envahi la Pologne comme le Kaiser avait délibérément violé le territoire de la Belgique loyale et libre au mois d’août 1914. Et qui osera affirmer que le 10 mais 1940, le roi Léopold – soudainement envoûté par un désir de conquête impérialiste – provoqua la grande armée prussienne? Pour la seconde fois en moins d’un quart de siècle, la Belgique a été attaquée et piétinée par les boches en dépit de la déclaration du 13 octobre 1937, par laquelle le gouvernement du Reich s’engageait à ne jamais « porter atteinte à l’Inviolabilité et à l’Intégrité de la Belgique en aucune circonstance et de respecter en tout temps, le territoire belge. » Inutile d’ajouter que l’Allemagne avait solennellement renouvelé cet engagement le 26 août 1939 – quelques mois avant l’invasion.

Personne également n’osera prétendre que le 10 juin 1940 – exactement sept jours avant que le gouvernement Pétain ne demande l’armistice, – l’Italie entrerait dans la guerre parce qu’elle se sentait menacée par l’Armée française. Ce coup de poignard logé entre les épaules de Marianne à genoux était la suite logique, un acte conforme à l’invasion de l’Albanie accomplie le 7 avril 1939, un vendredi saint après-midi.

Est-il besoin d’insister longuement sur l’invasion de l’Union Soviétique le 22 juin dernier et sur l’attaque des avions japonais contre Pearl Harbour ? L’URSS fut envahie malgré un pacte de non-agression qui n’avait pas été violé et la base hawaïenne fut mitraillée sans déclaration de guerre et alors que les envoyés nippons discutaient avec M. Cordell Hull, secrétaire d’État aux Affaires étrangères d’un accord politique et militaire.

Tous ces faits prouvent clairement qu’il n’est pas besoin de déclarer la guerre ni même de mettre en danger les positions du fascisme international – pour être victime de l’axe Rome-Berlin-Tokyo.

Hitler jette ses bombes et lance ses parachutistes où il veut et sans tenir compte de la volonté pacifique de ses voisins. Il y a un fait d’ailleurs qui prime la déclaration de guerre : c’est l’Atlantique. Du moment qu’il y avait une bataille de l’Atlantique, le Canada était automatiquement menacé – placé même dans la zone de bataille. L’Eire n’a pas déclaré la guerre au Reich, mais un quartier de Dublin a été incendié par les aviateurs de la Luftwaffe.

Le Canada est entré dans la mêlée librement et pour se défendre. Et en votant la déclaration de guerre, le parlement de la nation n’a fait que se conformer aux données simples et claires de la sécurité collective.

Pays de l’Atlantique, passerelle jetée entre deux mondes, nœud gordien de l’Entente cordiale et pierre angulaire de l’édifice anglo-américain, il était indispensable que le Canada protège sa destinée en prenant les armes. Tout son avenir de nation souveraine, ses intérêts économiques les plus immédiats et la liberté de son territoire étaient en danger. Nous avons ouvert le feu avant d’être la malheureuse victime du chien enragé de l’Europe. Si aujourd’hui, des sous-marins nazis remontent le Saint-Laurent, si des marins canadiens se perdent corps et biens dans l’Atlantique, si des épaules se courbent sous le poids des deuils – ce n’est pas parce que le 10 septembre 1939 le parlement de la nation a déclaré la guerre, mais bien parce que géographiquement et politiquement le Canada était sur la route des nazis. Nous devons payer la rançon de notre victoire. Et chaque semaine quelques dollars restent collés au fond de enveloppes de paie; chaque semaine, quelques familles reçoivent le message laconique qui annonce qu’un fils vient de tomber au champ d’honneur. Mais s’imagine-t-on dans quelle situation nous serions placés, si nous avions attendu que l’ennemi vienne nous prendre? Sans les ports canadiens comme bases de ravitaillement et points d’appui, l’Angleterre aurait peut-être forcée de mourir en silence. La route se serait ouverte libre et large devant l’ennemi. Trop tard, nous aurions engagé un combat perdu d’avance. Heureusement nous avons frappé les premiers.

Dès que la route de l’Atlantique fut menacée, le Canada a déclaré la guerre, pour les mêmes raisons que dix États sud-américains se sont jetés dans la mêlée dès que les Japonais mirent en danger la route du Pacifique. On n’échappe pas à la géographie : la Belgique sera toujours placée sur la route de L’Allemagne et devra s’attendre à l’invasion chaque fois que la France sera en guerre. De même, on ne peut pas dire aux bombes : allez tomber plus au nord ici on est neutre !

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Coquelicot rouge
Coquelicot rouge. Photo d’Histoire-du-Québec.ca.

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