Portrait historique de la rivière George
La rivière George prend naissance dans la région du Labrador, se frotte en passant aux monts Torngat, puis file franc nord à travers le Nunavik avant de déboucher dans la baie d’Ungava. Le parcours d’environ 600 kilomètres fait alterner les rapides impressionnants et des corridors tumultueux avec de paisibles bassins. Intéressant cours d’eau du Nord québécois, la George, qui draine un bassin d’environ 42 mille kilomètres carrés, fut longtemps le domaine exclusif des caribous et des peuples nomades, bien avant que des explorateurs européens puissent en découvrir l’existence. Depuis plus de 5 mille ans, les Amérindiens en suivaient le parcours, qui mène à leurs territoires de chasse. Admettons que les noms originaux de Kangirsualujjuap Kuunga ou « rivière de la très grande baie » en inuktitut, Mushuau Shiu ou « rivière sans arbre » en naskapi, Metsheshu ou « rivière à l’aigle » en montagnais conviennent mieux à son aspect farouche que l’appellation plus récente répandue par des missionnaires moraves au début du XIXe siècle en l’honneur du roi George III de l’Angleterre.
Entre les montagnes et la plaine, la taïga et la toundra, la terre et la mer, la rivière George impose une force tranquille et dégage la troublante impression d’éternité qui attire les aventuriers modernes en quête d’espaces infinis. Que l’on en affronte les rapides, que l’on y taquine l’omble et le saumon ou que l’on y croise l’un de ces peuples venus comme elle du fond des âges, un face-à-face avec cette rivière mystique ne s’oublie jamais tout à fait.
Là où veillent les esprits
Les monts Torngat qui bordent la rivière George, sont l’épine dorsale de la région et la frontière naturelle entre la mer du Labrador et la péninsule d’Ungava. Lieu culte à plus d’un égard, sa présence rappelle les Tuurngait, ou esorits en inuktitut. La légende inuite raconte que le monde des esprits règne au sommet de ces monts dont l’ascension fut longtemps réservée aux shamans, seuls dignes d’attirer la faveur du ciel sur le peuple de la toundra. Cet olympe nordique des divinités en impose par la hauteur prodigieuse des monts où se dressent les plus hautes cimes de l’est de l’Amérique du Nord.
Un patrimoine d’une telle envergure aurait convaincu les gouvernements fédéral et provincial d’y créer un parc d’une superficie de plus de 4 000 kilomètres carrés englobant les cirques glaciaires et les neiges éternelles de la chaîne des Torngat, où culmine le mont d’Iberville à plus de 1600 mètres d’altitude ainsi que la vallée de la rivière Koroc qui file sur 180 kilomètres entre les promontoires et la baie d’Ungava, contiguë à la George. Ce couloir fortement encaissé réunit des conditions climatiques bénéfiques pour le groupement forestier dense où le bouleau blanc, rare à cette latitude, c’est trouvé une niche. Le corridor forme un axe de communication naturel entre la baie d’Ungava et le Labrador, axe qui fut utilisé par les tout premiers voyageurs environ 4 000 ans avant la colonisation. Les Inuits d’Ungava s’en servaient entre le XVIIIe et le XIXe siècles pour gagner la côte atlantique, où ils faisaient la traite avec les missionnaires moraves.
La très grande baie
L’embouchure évasée de la rivière George a inspiré aux Inuits le nom du village côtier de Kangiqsualukkuaq, appelé « la très grande baie »’ dans leur langue. L’histoire de cette bourgade blottie dans l’anse d’Akilasakalluq débute, vers 1838, lorsque la Compagnie de la Baie d’Hudson établit à proximité le poste de traite de Fort Severight qui deviendra le Fort George River. Quelques années après la fermeture du poste, au milieu du XIXe siècle, un moulin à scie est érigé sur le site du village actuel, à environ 50 kilomètres en amont. La création d’une coopérative de pêche à l’omble chevalier, en 1959, consolide les fondations de la localité naissante, qui prend le nom de Port-Nouveau-Québec, en 1961, puis celui de Kangiqsualujjuaq, en 1980, date de sa constitution en municipalité.
L’économie du village, également connu sous le nom de George River, est basée sur les activités de chasse et de pêche. Le caribou et l’omble chevalier en sont les animaux fétiches, mais l’on s’intéresse aussi fortement au phoque, au béluga, au saumon et à la truite. La Coopérative des pêcheurs inuits de George River, première coopérative locale fondée dans le milieu, se spécialise dans la pêche commerciale, la vente au détail, l’artisanat, la gravure, la mise en marché des fourrures et les activités récréotouristiques.
Les quelque 700 habitants du village le plus oriental du Nunavik mènent une vie accordée au rythme des saisons et des marées, axée sur l’alimentation, le commerce et le tourisme. À moins de 25 kilomètres de la baie d’Ungava, le paysage hivernal immaculé cède en été à l’explosion du riche décor végétal qui profite de la douceur de la vallée. Événement parmi d’autres, la baie d’Ungava a récemment enregistré le record mondial d’amplitude des marées, soit autour de 17 mètres, dans la partie sud-ouest représentée par la baie aux Feuilles. En mer ou sur terre, chasseurs et chercheurs d’aventure se plaisent dans le voisinage de Kangiqsualujjuaq. Au nord défilent les bélugas et les phoques; des grands troupeaux d’ongulés traversent les terres du sud chargées de promesses, que les pourvoyeurs s’activent à réaliser dans les camps qui parsèment leur domaine. On a contemplé les chutes Hélène, à 64 kilomètres en amont de la rivière George, sait pour toujours que le rêve et la réalité ne font qu’un. Randonneurs, canoteurs et kayakistes circulent dans un décor de rêve dont ils n’ont aucune envie de s’éveiller.
(Source : Rivières du Québec, Découverte d’une richesse patrimoniale et naturelle. Par Annie Mercier et Jean-François Hamel. Les éditions de l’Homme, une division du groupe Sogides).
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