Le parrain de Montréal (Antonio Cordasco)
Antonio Cordasco était peut-être le parrain le mieux connu parmi les travailleurs italiens qui venaient à Montréal.
Vers la fin du XIXe et au début du XXe siècles, cet homme, surnommé le Roi du Travail de Montréal, a servi d’intermédiaire entre les plus importantes entreprises canadiennes et les immigrants italiens qui fournissaient une main-d’œuvre bon marché, bien organisée, et facile à gérer.
En effet, les padrones (le nom italien pour les parrains) jouaient le rôle de syndicats, d’avocats, d’intermédiaires, d’interprètes, d’arbitres, d’agents de recrutement, de banquiers, de psychologues et de conseillers financiers. Sans leur aide, les rapports entre les ouvriers et l’industrie auraient été plus difficiles.
Ne nous trompons pas, le padrone n’était pas une personne honnête et altruiste. C’était aussi un individu corrompu et violent. Cependant, des milliers d’immigrants italiens ont trouvé un premier emploi au Canada grâce à ce personnage, et ce sans connaître la langue, ou les langues, de leur nouveau pays. Il est vrai également qu’ils devaient payer une taxe au padrone, et qu’ils n’osaient pas se rebeller ni agir contre sa volonté.
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C’est à Antonio Cordasco que la Canadian Railway Company s’adresse pour trouver les travailleurs dont elle a besoin pour la construction de son réseau de voies ferrées.
Cordasco fait la promotion de la CRC dans le journal Corriere del Canada, dont il est propriétaire. On le distribue dans un grand nombre de villes et de villages d’Italie. Pour chaque travailleur recruté, il touche une commission.
Vers la fin de l’année 1903, environ 4000 Italiens travaillent pour la Canadian Pacific au Québec, tous engagés par Antonio Cordasco et ses acolytes. Mais il y a aussi d’autres entreprises, et grosso modo, on estime qu’environ 10 mille travailleurs ou plus doivent leur poste à Cordasco.
Au cours de l’été 1904, Antonio Cordasco célèbre son anniversaire. Le parrain, désireux d’impressionner ses invités qui sont arrivés de partout au Canada, des États-Unis et même d’Europe, organise un défilé de travailleurs. Au moins quatre mille personnes passent devant l’imposante demeure d’Antonio Cordasco, en agitant des fleurs et en criant des souhaits de longévité au propriétaire. Ce jour-là, on proclame « officiellement » Cordasco Roi du Travail. Sa position paraît solide et son avenir assuré.
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Mais la nouvelle du défilé se répand, notamment dans les journaux. Le gouvernement fédéral, qui est alors confronté à divers problèmes reliés à la politique d’immigration, décide de s’opposer au système des padrones. Une Commission royale d’enquête est donc nommée par Ottawa.
À cette époque, la demande de main-d’œuvre dans l’industrie est en baisse. En conséquence, l’influence des padrones est moins grande et le gouvernement en profite pour passer à l’action.
En 1905, le gouvernement fédéral ouvre les portes aux immigrants qui promettent d’aller travailler dans l’industrie. Ainsi, en quelques mois, le nombre d’immigrants dépasse largement le nombre de travailleurs requis. Une crise de l’emploi s’ensuit, et des centaines d’immigrants se retrouvent sans travail et sans les moyens de retourner dans leur patrie, alors que Cordasco leur avait promis le paradis…
Quand le parrain s’est avéré incapable de tenir sa parole, il a cessé d’être un parrain digne de ce nom… et il n’a pas tardé à disparaître.