Ouverture du parlement le 21 novembre 1828
Le vingt un de novembre, terme fixé par la proclamation de Sir James Kempt, notre parlement provincial s’est ouvert avec les cérémonies accoutumées et sous les auspices les plus favorables. Depuis longtemps les esprits étaient dans une grande agitation. La question de l’orateur qui avait amené une prorogation soudaine, l’année précédente, excitait l’inquiétude quant au résultat qu’elle devait avoir.
Le nouveau gouverneur, en approuvant le choix que la Chambre d’assemblée avait fait de Monsieur Papineau pour son orateur, choix auquel son prédécesseur avait refusé son approbation, voudrait-il s’exposer à compromettre les prérogatives (réelles ou supposées) de la Couronne ? Quelles devaient être ses instructions à cet égard ? La Chambre procéderait elle au choix d’un nouvel orateur, au préjudice de ses privilèges, et par crainte de priver le pays des bienfaits de toute une session, surtout après que celle de l’année dernière avait été totalement perdue par le même motif ?
Ou bien ne devait elle pas plutôt persister dans son premier choix, et redouter d’établir un précédent, dont les conséquences pouvaient devenir très sérieuses, surtout entre les mains de quelque administrateur de la trempe de celui dont le règne tyrannique et arbitraire vient de finir ? Et en vérité n’est-il pas juste et raisonnable que la personne qu’elle élit pour présider ses débats ait toute la confiance ? Et comment en serait-il ainsi, si, sous l’ombre d’une prétendue prérogative du Roi, elle se trouve exposée à la volonté capricieuse et tyrannique du représentant du Roi dans une colonie ?
À quoi se réduirait la liberté d’une telle élection ? Mais à quoi servent toutes les discussions sur ce sujet : à quoi bon interroger la justice, la raison, l’usage ou la loi pour établir un droit actuellement décidé à la satisfaction de toute la nation et de sont tribunal auguste ?
Le parlement est maintenant réuni en session. L’assemblée de nos représentants au premier jour de la convocation s’est rendue à la Chambre du Conseil législatif, en présence de l’administrateur en chef, avec son orateur tel qu’élu l’année dernière, et précédé de la masse d’or.
L’Honorable M. Papineau a annoncé à Son Excellence que la Chambre d’assemblée lui avait fait l’honneur de l’élire pour son orateur, qu’il le suppliait de vouloir bien lui donner son approbation, ce à quoi Son Excellence a acquiescé de la manière la plus gracieuse.
Après quoi, les formalités d’usage étant remplies, Son Excellence Sir James Kempt a ouvert la session par une harangue très flatteuse et basée sur des principes très propres à rappeler la confiance et à rétablir la paix et l’harmonie ; il s’est engagé à donner à la Chambre tous les éclaircissements possibles, et à lui communiquer les instructions et les intentions de Sa Majesté et de ses ministres. Sous de tels auspices, avec un gouverneur bien intentionné, libéral dans ses principes, impartial dans sa conduite, éclairé sur ses devoirs, muni d’instructions conciliantes, appuyé de l’opinion des législateurs de lg Grande Bretagne et des vœux de tout un peuple, et secondé des efforts généreux des représentants de ce même peuple, espérons que les affaires vont reprendre une meilleure tournure et tendre au bienêtre et à l’agrandissement d’une colonie qui peut avec le temps rivaliser avec aucun des États de l’Union qui nous avoisine, mais qui n’attend que l’effet d’une législation sage et éclairée pour développer son énergie et ses ressources.
Une chose bien remarquable cependant, c’est la veille même de la réunion du parlement, les partisans de la défunte administration se flattaient encore que les mêmes principes allaient gouverner l’administration présente, ce qu’ils anticipaient sur ce que le nouveau gouverneur ne pouvait faire autrement que de se mettre en collision avec la branche populaire par rapport à la question de l’orateur. Suivant eux, sir James Kempt ne pouvait approuver la nomination de Monsieur Papineau qu’après une nouvelle élection ; la prérogative royale y étaient intéressée. Ce qui, avec la persuasion où ils étaient (non sans raison) que la Chambre d’assemblée persisterait toujours dans ses prétentions, les portait encore à invectiver et à injurier cet honorable corps. La Chambre, disaient-ils, par son obstination et sn obstination ouverte au gouvernement, va encore nous laisser croupir dans la discorde et les dissensions, elle sera encore la cause que tout le pays sera encore privé des fruits de la législature et de ses nombreuses institutions !
Extrait de Mes Tablettes de Romuald Trudeau (Journal d’un apothicaire montréalais, 1820 – 1850). Texte établi et annoté par Fernande Roy et Georges Aubin, Domaine Histoire, 2016.
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