Œuvre missionnaire et autres cultes
Grâce à l’œuvre missionnaire qui suivit les premières découvertes, les Européens apprirent à tolérer, voire à respecter, en certains lieux, les autres cultes. Cette évolution fut particulièrement frappante en Asie, où les missionnaires se trouvaient confrontés à tout un enchevêtrement de religions bien structurés, au bouddhisme, à l’hindouisme, au shintoïsme et à leurs nombreuses variantes et obligés de modifier leurs habitudes d’Européens pour gagner la confiance de leurs interlocuteurs et s’en faite écouter. Lorsqu’en 1549 saint François-Xavier se rendit au Japon, les habitants lui parurent intelligents et il crut qu’il serait aisé de leur faire adopter le christianisme, mais les jésuites, dépêchés au Japon pour mettre ses plans à exécution, ne tardèrent pas à découvrir que, pour recruter des adeptes, le catholicisme devait compter avec le bouddhisme Zen et le shintoïsme, deux religions subtiles et attirantes.
En Chine, la tâche s’avérait plus malaisée encore; avant d’obtenir qu’on les respectât intellectuellement, les missionnaires se voyaient dans l’obligation d’assimiler les complexe réactions que le bouddhisme, le taoïsme et le confucianisme exerçaient les uns sur les autres. Ce contact avec des pays très évolués comme la Chine et le Japon enrichit les missionnaires d’une vertu contraire aux idées du Moyen Âge, l’art du compromis en matière de religion. Parfois, il leur fallait sacrifier la lettre à l’esprit. Au Japon, par exemple, l’idée de la crucifixion choquait; les Japonais admettaient difficilement que le Fils de Dieu ait été soumis à la torture; il fallut estomper cette notion.
Pour contourner ce genre d’incompréhension, les missionnaires, en Chine comme au Japon, durent apprendre à fond la langue, se réservant de décider à quel moment il serait opportun d’introduire des termes latins, espagnols ou portugais afin de préciser des concepts trop difficiles, impossibles à cerner avec les mauvais approximations fournies par la langue locale. En Chine, vers la fin du XVIe siècle, les Jésuites allèrent jusqu’à adopter la coiffure et les vêtements en usage; s’abaissant, flattant leurs interlocuteurs, ils se prosternaient quand un mandarin leur accordait audience. Une telle conduite eût paru inacceptable à des missionnaires d’une époque antérieure.
Les contacts du christianisme avec les autres religions eurent à la longue d’importantes conséquences sur la propre orientation en Europe, quoiqu’il soit difficile de définir cette influence avec précision. Cette évolution conduisit à plus de souplesse dans l’interprétation des dogmes, à une revalorisation de leur intention au détriment de l’application rigide des lois de l’Église. Lentement on comprit que tout homme, si attardé fût-il, possédait un sens religieux qui l’incitait à respecter une entité dépassant son seul individu et le cadre immédiat de sa vie. Cette tolérance croissante envers les croyances d’autrui conduisit, dans certains cas extrêmes, au panthéisme, cette religion si répandue au XVIIIe siècle, qui veut que Dieu soit présent en toutes choses et qu’il ne se soit pas révélé en exclusivité à telle nation ou à telle secte.
Progressivement donc, on se prit à respecter certains aspects des conceptions des peuples exotiques ; on admira la science avec laquelle ils évitaient les grandes guerres, qui ravagaient l’Europe ; on envia leur aptitude à jouir de l’existence sans connaître cette quête spirituelle, qui ne se traduisit en Europe qu’en luttes entre catholiques et protestants. Partiellement, cet accord venait de la nostalgie des heures d’insouciance et d’innocence du Paradis Perdu ou des temps de l’Âge d’or de l’Antiquité ; cependant, cet attrait était en grande partie le fruit d’observations directes. Ainsi Caminha oppose le charme et l’innocence d’une jeune Brésilienne nue à la vanité et aux attraits bien moins naturels des Européennes fardées et sophistiquées.
A force d’étudier cette multitude de sociétés nouvelles, qui parfois réservaient peu de place aux lois, à la propriété, à l’autorité, tout en produisant de beau individus heureux de vivre en liberté, les Européens en vinrent à réfléchir sur les défauts de leur propre mode de vie. Les conclusions engendrées par de semblables comparaisons engendrées par de semblables comparaisons servirent de fondement aux œuvres des écrivains politiques du XVIIIe siècle qui, comme Rousseau, estimaient que les Européens demeuraient prisonniers dès leur naissance de structures sociales odieusement injustes et inutilement raffinées. Les effets politiques et sociaux de ces études anthropologiques, réalisées par les explorateurs et les missionnaires, devaient se faire sentir en Europe pendant de très longues années.
Les explorateurs eurent toutefois d’autres conséquences, d’une portée plus immédiate et plus considérable sur la vie de l’époque. De nouveaux produits faisaient leur apparition; le tabac, par exemple, va jouer d’une façon croissante le rôle de drogue et d’antidote contre les excitations quotidiennes. Découvert par Colomb aux Indes occidentales, le tabac fut introduit en France et au Portugal vers le milieu du XVIe siècle. Dès le début du XVIIIe siècle, ses effets sur la santé furent l’objet de violentes controverses.
Importé de Turquie et d’Égypte, au début du XVIIe siècle, le café se heurta à une certaine opposition parce que ce boisson provenait des pays musulmans. Son emploi ne fut accepté par l’Europe, dit-on qu’après que le Pape Clément VIII en eut vanté les mérites. Entre autres, son adoption conduisit à la prolifération des cafés, ces établissements qui abriteront tant de discussions religieuses et politiques au cours du XVIIe et du XVIIIe siècles. Les Découvertes du XVIe et du XVIIe siècles sont également responsables de l’introduction en Europe de deux autres breuvages, appelés à connaître une grande vogue et à occuper une grande place dans la littérature; il s’agit du thé, originaire de Chine, et du cacao découvert en Amérique du Sud.
Le sucre, qui contribua grandement à `développer l’engouement des Européens pour ces diverses boissons, et qui, comme les épices, servait à rendre acceptables les aliments en usage au Moyen Âge, était originaire, quant à lui, du Sud de l’Europe, mais seuls son transport par les Espagnols et le Portugais aux Indes occidentales et au Brésil, et son acclimatation permirent une production qui devait mettre cette denrée à la portée de toutes les ménagères. Sur la plupart des tables, des Européens du XVIe siècle, son apparition constituait une nouveauté nettement plus importante que celles de la banane ou de la dinde. Dans cette classification, un seul produit du Nouveau Monde surpasse le sucre : la pomme de terre! Cultivée sur une large échelle en Amérique du Sud, elle devint l’un des produits de base de l’alimentation européenne.
D’après L’Âge des Découvertes par John R. Hale et les Rédacteurs des Collections Time-Life, 1967.
L’Église partage la planète
Pour protéger leur accès escompté aux richesses en or et en épices de l’Orient et à ses possibilités missionnaires, Isabelle et Ferdinand prirent une mesure risquée et demandèrent au Pape le droit exclusif de commencer avec les terres, situées au-delà de l’océan, et de les conquérir. À la suite de cette demande, l’Église prit une décision d’une très grande importance juridique. Ultime expression d’une souveraineté à l’échelle du globe, Rome partagea le monde.
En présentant leur pétition, les Espagnols ne faisaient que suivre l’exemple institué par les rois du Portugal qui, à partir de 1455, avaient demandé – et obtenu par une série de bulles papales – la protection de leurs intérêts le long de la côte d’Afrique « sur la mer Océane et sur les terres situées au sud et en direction de l’est ». Le Portugal avait interprété ce vaste chèque en blanc comme une reconnaissance de son entière souveraineté sur l’Atlantique sud à partir des Canaries. Ces bulles s’appuyaient sur une supposition : de par son esprit de croisade le Portugal oeuvrait pour l’Église et avait droit à des profits séculaires. La demande espagnole relevait de ce principe.
D’origine espagnole et devant sa carrière l’homme d’Église aux faveurs du trône d’Espagne, le Pape Alexandre VI, chef de la célèbre maison des Borgia, accueillit avec bienveillance la requête, demandant la liberté exclusive d’action en Atlantique, et ceci quoi qu’elle fût en conflit avec les droits accordés au Portugal. Isabelle et Ferdinand souhaitaient l’établissement d’une ligne verticale coupant en un point, situé à 100 lieues (300 milles marins) à l’ouest des Açores, la ligne horizontale des Portugais. Ils abandonnaient à ceux-ci les régions des changements du régime des vents, de l’état de la mer, des variations anormales de la déclinaison et en avait déduit qu’une frontière marine, invisible mais réelle, devait exister là.
Par la bulle « Inter Caetera », le Pape accéda immédiatement à la requête espagnole et les Portugais protestèrent aussitôt afin de maintenir le respect intégral de leur ligne est-ouest. Des négociations directes entre les deux puissances conduisirent au compromis du traité de Tordesillas, signé en 1494, et qui repoussait de 270 lieues vers l’ouest la ligne verticale, confondue dorénavant avec le méridien 40 degrés 37 minutes. Entre autres conséquences, ce partage fait au hasard donna au Portugal des droits sur le Brésil, dont le littoral se trouvait à l’est de la nouvelle ligne.
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