L’occupation amérindienne de l’Abitibi-Témiscamingue entre 1600 et 1680
Occupation amérindienne de l’Abitibi-Témiscamingue : Au moment du contact avec les Européens, la région du Nord-Ouest québécois (grosso modo, l’Abitibi-Témiscamingue d’aujourd’hui) est occupée et exploitée par au moins deux groupes amérindiens relativement bien identifiés : les Abitibis et les Témiscamingues.
Pour cette période, qui s’étend de 1600 à 1680, la majorité des informations proviennent des chroniques de missionnaires et des récits d’explorateurs. Loin de résuler d’observations découlant de séjours prolongés chez les A bitibis et les Témiscamingues, les données de ces textes historiques relèvent le plus souvent du ouï-dire et sont empreintes de préjugés défavorables aux Amérindiens. Consignés par des informateurs qui n’avaient à toute fin pratique que des intérêts ethnographiques secondaires, les renseignements livrés sont donc partiels, lacunaires et fragmentaires et, par conséquent, ils confrontent le chercheur à des problèmes de fiabilité, de représentativité et d’exhaustivité.
Ces documents historiques se révèlent néanmoins des sources de première main pour poser les jalons d’une reconstitution de l’histoire culturelle des Amérindiens du Nord-Ouest du Québec au XVIIIe siècle. Les données tirées de ces textes seront satisfaisantes dans la mesure où leur lecture et leur interprétation allieront l’analyse documentaire classique de l’historien aux peuples algonquiens de l’est du Canada et du Québec subarctique avec lesquels les Abitibis et les Témiscamingues partagent indéniablement plusieurs traits culturels communs. Est-il besoin de le souligner, c’est donc en puisant substantiellement dans ces coutumes assez proches et ces mêmes instruments utilisés pour véhiculer des réalités matérielles et des valeurs spirituelles que nous pourrons caractériser certains aspects de la vie sociale et économique des Amérindiens du Nord-Ouest du Québec lors de la période du contact avec les Européens.
Le territoire et les occupants
Au dire du missionnaire Barthélemy Vimont, auteur de la Relation des Jésuites de 1640, six groupes amérindiens vivent au nord-est du lac Nipissung (Ontario), où sont les Nipissiriens, au moment de l’arrivée des Européens dans l’est du Canada. Ce sont les Timiscimis, les Outimagamis, les Ouachegamis, les Michitamous, les Outubris et les Kiristinons. Bien que ces groupes ne forment pas une réalité sociologique homogène, chacun ayant ses particularités, tous appartiennent néanmoins à la famille linguistique algonquienne et représentent des entités optimales de relations amicales.
À mesure que, dans les terres situées au nord du Saint-Laurent, les contacts se feront plus fréquents et plus prolongés entre Amérindiens et Européens, les Français désigneront sous le nom de Gens des terres ou Gens du Nord ces unités de regroupement à l’intérieure desquelles circulent non seulement des biens et des idées mais surtout des individus. Le père Antoine Silvy, un Jésuite qui a arpenté cette région à quelques reprises, écrira alors :
On peut distinguer en quatre classes les Sauvages. Le Sauvages errants sont la première, ils sont communément appelés gens des terres ou gens du Nord, lesquels habitent dans les terres, n’y font point de bled d’Inde, n’ont point de villages sédentaires et n’y vivent que de chasse et de pèche. Tels sont ceux qui habitent depuis les Esquimaux jusqu’aux Témiskamingues qui sont les derniers le long de la grande rivière des Outaouais dont on aye une parfaite connaissance; ce sont les Oumaiamis; Chicoutimiens, Papinachois, Montagnais, Algonquins de la rivière Saint-Jean, grands et petits Mistassins, habitants de Menisco, Atticameques ou Poissons blancs. Monsonis, Pisouagamis, Abitibis, Machatantibis ou Têtes de Boule et Cirstinaux.
Parmi ces groupes qui constituent autant d’entités politiques autonomes, mais qui restent unis par des liens privilégiés, au moins deux occupent et exploitent l’espace correspondant en substance à la région devenue aujourd’hui l’Abitibi-Témiscamingue. Disséminés dans la hauteur des terres sises entre les rivières Harricana au Québec et Abitibi en Ontario, les Abitibis peuplent également une partie du versant de la baie James située juste au nord de cette région. Durant la saison chaude, ils se rassemblent sur le pourtour du lac Abitibi, d’où leur nom Apittipi anissinabe, sg., c’est-à-dire « Gens du lac à coloration foncée ».
Au sud, vivent les Témiscamingues qui se reconnaissent comme Sagiwan icana bi ou « Peuple dont la résidence principale est la tête du lac ». Ils fréquentent un territoire qui s’étire du nord au sud de la Témiscamie jusqu’à la rivière Mattawa, dans le bassin hydrogéographique de l’Outaouais supérieur. Chaque été ils se réunissent autour du lac Témiscamingue ou Timiskaming auquel on les identifie et qui signifie « endroit où il y a des hauts fonds et de bas fonds », en référence à la topographie de ce plan d’eau.
Des amérindianistes ont déjà avancé qu’au moment de l’arrivée des Européens, le territoire des Algonquins aurait englobé la région de l’Outaouais et aurait peut-être compris celle de l’Abitibi-Témiscamingue. Ce présupposé mérite aujourd’hui d’être nuancé, car les données puisées dans la cartographie et les textes historiques disponibles pour la période du contact ne le confirment que partiellement. En effet, les recherches ethnohistoriques récentes tendent plutôt à indiquer que si, au XVIIe siècle, les Témiscamingues ont des affinités culturelles apparentés étroitement aux Algoniquins et les Abitibis, ces derniers sont probablement apparentés aux Cris de la baie James.
L’hypothèse est néanmoins intéressante et invitante, car elle suggère ni plus ni moins que les noms attribués aux populations septentrionales qui occupent le Québec et l’Ontario au XVIIe siècle ne seraient en fait que des conventions servant à désigner des groupements de bandes et de tribus. L’idée n’est pourtant pas neuve. Ne vient-elle pas rejoindre une vieille proposition déjà formulée par le père Silvy, à savoir que les peuples appelés les Abitibis et les Témiscamingues par les Français et leurs descendants sont, avant et au moment de la période du contact, partie intégrante d’un réseau de circulation de forces homogénéisantes qui génèrent un sentiment d’identité culturelle commun?
(Source : Histoire de l’Abitibi-Témiscamingue, sous la direction de Odette Vincent, Institut québécois de recherche sur la culture, les presses de l’Université Laval).
Pour compléter la lecture :
Bonjour,
Maintenant que le temps aura opéré un mélange des influences entre Algonguins et Cris, les Amérindiens du début de la colonisation de l’Abitibi étaient-ils de liens Algonguins ou Cris? L’amérindien qui venait porter des quartiers de cerf ou d’orignaux à mon arrière-grand-père dans les années 1920 aurait-il été d’ascendance Algonquine ou Cris? Et mon arrière grand mère aura-t-elle appris à lire dans les feuilles de thé du Labrador d’une relation algonguine?
Michel P. Merci