Jour de Noël en 1647 en Nouvelle-France
D’après M. A.D. De Celles, membre de la Société Royale du Canada, texte publié dans la revue La Canadienne en janvier 1920.
… Plaçons le curieux et amusant tableau du jour de l’An à Québec aux premiers temps de la colonie. Nous le trouvons dans le « Journal des Jésuites » où l’un des Pères de cette compagnie consignait les faits divers du jour, même les plus insignifiants. On comprend que dans le grand isolement où se trouvaient les premiers colons réunis à Québec, les moindres événements prenaient de l’importance. En lisant maints passages du Journal, on a l’impression que l’on se trouve en face du premier essai de reportage canadien.
Donc, nous voici au premier de l’an 1647. Voyons comment les autorités civiles et religieuses font échange de civilités et d’étrennes.
*
- Le 1er janvier je fus au deuxième coup de la messe saluer M. le gouverneur.
- Les Hospitalières envoyèrent une lettre par M. de St Sauveur et deux boîtes d’écorces de citron par un homme.
- Les Ursulines, une lettre, un barillet de pruneaux, un chapelet et une image en papier, savoir, un Crucifix, un grand volume.
- On nous envoya: M. le gouverneur, quatre chapons, deux outardes, huit pigeonneaux ; d’autres volailles, environ 10 à 12. On dit à Vêpres, les litanies du Nom de Jésus.
- Le 2, nous donnâmes à dîner à M. île St Sauveur, M. le Prieur et M. Nicolet.
- On envoya à Sillery une outarde et quatre chapons. Je donnai aux Hospitalières un livre du P. Bonnefons.
- Aux Ursulines, un tableau de St.Joseph.
- Sept ou huit paires de souliers sauvages à nos garçons.
- À Pierre, un chapelet d’Albâtre.
- À M. de St Sauveur. l’Évangile du P. de Montreuil, un pain de bougie et un canif.
- À M. le Prieur, un pain de bougie.
- À M. Nicolet un petit pain de bougie.
- À St Martin, un pain de bougie, un livre spirituel; sçavoir (?) l’Exercice du Chrétien, et un couteau a manche d’argent.
- À M. Boutonville, Secrétaire de M. le Gouverneur, un chapelet musqué avec un Agnus Dei.
- À M. de Champigny, musicien, un beau chapelet avec médaille et reliquaire.
* Jour de Noël en Nouvelle-France
Le premier de l’an 1649 ressemble à celui de 1647. La première entrée du jour nous révèle que, en ces temps éloignés, il y avait déjà des amis de la dive bouteille à Trois-Rivières.
- Le 1er jour fut apportée la nouvelle des Trois-Rivières, de la suffocation en prison, de trois soldats, par la fumée de charbon et d’eau de vie; c’étaient des ivrognes, blasphémateurs et mutins.
- M. le Gouverneur envoya, le matin, son sommelier, apporter deux bouteilles de vin d’Espagne, un coq d’Inde, et un Agnus Dei.
- Autant au Père Vimon et le double de vin d’Espagne au P. le Jeune.
- Les Hospitalières nous envoyèrent un baril de vin d’Espagne et deux chapons.
- Les Ursulines, rien; mais leur ayant envoyé un couple de bouquets de fleuri aussi bien qu’aux Hospitalières, elles envoyèrent le soir un chapelet avec une médaille en reliquaire.
- Sur la fin de l’année et au commencement de la nouvelle, le froid fut excessif.
L’année suivante, mêmes étrennes avec quelques variantes :
- Je donnai un petit livre à Mademoiselle la gouvernante et une croix de relique a M. le gouverneur et un Gerson (Imitation de Jésus-Christ), à son neveu.
- Les Ursulines nous envoyèrent saluer par M. de Vignar, et n’envoyèrent rien autres chose; je donnai à M. Vignar un pain de bougie et une Bible que m’avait donnée Mme Mance.
- M. le gouverneur envoya une escouade de soldats au bout du pont nous saluer avec une décharge de leur arquebuse, et de plus six flacons de vin, dont deux étaient de vin d’Espagne.
On ne peut lire sans sourire cette naïve énumération d’échanges de cadeaux et cette note trahissant un peu de désappointement: «Les Ursulines ne donnèrent rien».