Les négociations de paix après la Conquête du Canada

Les négociations de paix après la Conquête du Canada

Malgré la capitulation du Canada, la guerre entre la France et l’Angleterre n’est pas terminé. Choiseul espère encore changer la face des choses; il n’a pas perdu tout espoir. Il croit pouvoir influencer l’Espagne à entrer dans la guerre, aux côtés de la France.

Dans les Antilles, la France a perdu là aussi une autre colonie. À la fin du mois d’avril 1759, une escadre anglaise a forcé les autorités de la Guadeloupe à capituler et, depuis le 1er mai, l’île est occupée par les Anglais. En 1761, par un intermédiaire, des négociations ont lieu entre les gouvernements français et britannique. Choiseul propose aux Anglais de garder une partie du Canada, l’autre partie restant française, avec une nouvelle fixation de frontière dans la région de l’Ohio. Il espère ainsi conserver le territoire de la Louisiane, situé au centre du continent. Choiseul revendique également le droit de pêche sur les côtes de Terre-Neuve, droit qui existait depuis le traité d’Utrecht de 1713 et qui était supprimé depuis le début des hostilités. Il demande en outre que l’île du Cap-Breton, où se trouve Louisbourg, ne soit pas fortifiée.

Choiseul en demande trop. Pour la première fois, les Anglais ont tous les atouts dans leurs mains. Ils occupent déjà le Canada et ils savent pertinemment que la Louisiane est vaste et très peu peuplée, donc indéfendable. Ils peuvent maintenant espérer chasser définitivement la France du continent nord-américain; c’est une question de temps. Par conséquent, le 24 juillet 1761, le cabinet anglais rejette les propositions françaises. Cependant, des négociations continuent encore, mais Choiseul mise maintenant sur l’entrée en guerre de l’Espagne.

Le 15 août 1761, le « pacte de famille » est signé entre les Bourbons de France et d’Espagne. Et voici ce que stipule l’article I de cette entente :

« Le Roi très Chrétien (Louis XV, roi de France) et le Roi Catholique (Charles III, roi d’Espagne) déclarent qu’en vertu de leurs intimes liaisons de parenté et d’amitié et par l’union qu’ils contractent par le présent traité, ils regarderont à l’avenir comme leurs ennemis toute puissance qui le deviendra de l’une ou de l’autre des deux couronnes. »

D’autre part, selon l’article 3 de ce traité, les rois des deux pays « accordent la même garantie absolue et authentique au Roi des deux Sicile et à l’Infant Dom Philippe, duc de Parme, pour tous les états, places et pays qu’ils possèdent actuellement; bien entendu que Sa Majesté Sicilienne et ledit Infant duc de Parme garantiront aussi de leur part tous les états et domaines de Sa Majesté Très Chrétienne et Sa Majesté Catholique.

Sûr maintenant de l’entrée en guerre de l’Espagne, et comme rien de véritablement sérieux de la part des Anglais n’est proposé à la France, Choiseul décide de rompre les négociations et de poursuivre la guerre. Après la ratification du traité d’alliance par le roi d’Espagne, le 25 août 1761, le ministre dévoile à l’opinion les clauses du « pacte de famille.

Au courant du traité entre la France et l’Espagne, les Anglais s’inquiètent et quelques membres du gouvernement britannique sont partisans de la paix. Mais Choiseul n’en veut plus; il espère le succès définitif de l’entente avec l’Espagne. Il y a là un renversement de la situation et la guerre continue.

Le 16 janvier 1762, une escadre anglaise arrive à la Martinique et effectue un débarquement dans l’île. Face aux 10 mille soldats anglais, les troupes françaises qui comptent de 5000 à 6000 hommes, ne peuvent repousser l’invasion et, le 1er mars 1762, le gouverneur signe la reddition. Huit jours plus tard, une flotte française arrive en vue de la Martinique, mais il est trop tard, l’île est occupée par l’ennemi. À partir de leurs bases en Martinique, les Anglais vont pouvoir s’emparer de toutes les petites Antilles françaises, comme Sainte-Lucie, la Grenade et Saint-Vincent. De toutes les possessions françaises aux Antilles, il ne reste que Saint-Domingue, elle-même menacée.

À la suite de l’occupation de la Martinique et de la prise des autres îles françaises, Bute pousse Choiseul à une reprise des négociations. À partir du mois de mars 1762, les Anglais acceptent de rendre le Sénégal, d’accorder des droits de pêche à Terre-Neuve et même de restituer les petites îles de Saint-Pierre-et-Miquelon. Choiseul n’est pas d’accord; il propose alors, si les Anglais veulent rendre la Martinique, de céder le port de Mobile, qui est situé sur le golfe du Mexique. Les négociations sont donc longues et pénibles. Finalement, les Anglais acceptent de restituer la Martinique sans contrepartie. En ce qui concerne la Louisiane, Choiseul accepte que le Mississippi devienne la nouvelle frontière entre les territoires français et anglais, la rive gauche du fleuve devenant la limite entre les deux territoires. Mais cela signifie que toute la partie de la Louisiane située à l’est du Mississipi revient à l’Angleterre. Enfin, Bute consent à Choiseul de garder La Nouvelle-Orléans. Par contre, il n’envisage pas de rendre le Canada.

De son côté, l’Angleterre est disposée à ratifier tous ces accords, à la condition que la France amène l’Espagne à traiter en même temps. En d’autres termes, il faut que la guerre cesse totalement et que la paix soit signée en même temps par les trois nations. Si l’Angleterre ne veut pas d’une paix séparée, d’abord avec la France, ensuite avec l’Espagne, c’est qu’elle a de bonnes raisons; les projets de Choiseul ont échoué partout lamentablement. À cause d’une marine de guerre trop faible, la France a perdu presque toutes ses colonies, à part la Louisiane et Saint-Domingue que les Anglais ont dédaigné d’attaquer jusqu’à présent. Or Choiseul voulait prendre quelques positions à l’Angleterre, pour ensuite les échanger contre des territoires français envahis et occupés, comme, notamment, le Canada. Malheureusement, le ministre a trop compté sur l’aide éventuelle de la puissante flotte espagnole et, en attendant l’entrée en guerre de l’Espagne, il a préféré poursuivre la lutte. C’est l’inverse qui s’est produit. Grâce à la supériorité de ses forces navales, l’Angleterre a attaqué, puis occupé de nombreuses bases françaises qui représentent maintenant pour elle des points stratégiques très importants. Par conséquent, les Anglais savent très bien désormais que Choiseul n’a pas grand-chose à exiger. Cependant, ils craignent l’interventions des Espagnols, qui, avec leur flotte, peuvent encore faire changer l’issue de la guerre. Si Choiseul réussit maintenant à influencer l’Espagne pour entamer des négociations de paix, les Anglais savent qu’ils seront les grands vainqueurs de cette guerre, et ils n’accorderont que ce qu’ils voudront.

L’Espagne était peu disposée à traiter; elle n’acceptait pas la cession de la Louisiane orientale à l’Angleterre. La raison est simple : l’Espagne possède la Floride; si les Anglais atteignent le Mississippi et occupent le port de Mobile, la colonie espagnole sera complètement encerclée. En outre, l’Espagne ne veut pas non plus voir des navires anglais patrouiller dans le golfe de Mexique, grâce au port de Mobile. Cela peut nuire à ses échanges avec les autres colonies espagnoles.

Cependant, deux nouveaux événements très importants vont amener les Espagnols à se radoucir. D’une part, leurs troupes sont battues au Portugal, alors allié de l’Angleterre, et repoussées. D’autre part, l’île de Cuba a été attaquée par une escadre anglaise, le 13 août 1762, et La Havane est occupée. L’Espagne a maintenant conscience que la France l’a entraînée dans une triste aventure.

L’Angleterre, enhardie par ses nouveaux succès, est toujours décidée à traiter, à la condition que l’Espagne accepte les accords préliminaires établis entre Bute et Choiseul. C’est ce dernier qui a pour mission d’en persuader le gouvernement espagnol. Cependant, Choiseul a fait savoir aux Anglais que les Espagnols ne consentaient pas encore à ce que la France cède la Louisiane orientale. Dès lors, le gouvernement français se voit placé devant le dilemme suivant : ou bien persuader l’Espagne d’accepter ce qui a été fixé avec l’Angleterre ou bien continuer la guerre, tout en étant conscient que la victoire est incertaine, voire quasiment impossible.

Pour influencer définitivement les Espagnols à accepter les exigences du gouvernement anglais, Choiseul peur propose donc d’occuper l’autre partie de la Louisiane, située sur la rive occidentale du Mississippi, avec, en plus la ville de La Nouvelle-Orléans.

Le roi Louis XV se résigne donc à céder la Louisiane occidentale à l’Espagne, afin de la dédommager des pertes subies au cours de la guerre. Enfin, la Floride est occupée à son tour par des troupes anglaises, ainsi que Manille, dans les Philippines. Aussi, l’Espagne finit-elle par accepter les accords de Choiseul et à signer les préliminaires de paix, qui ont lieu à Fontainebleu le 3 novembre 1762. Ses pertes sont compensées par l’acquisition de la Louisiane occidentale, qui s’étend de la rive droite du Mississippi jusqu’aux montagnes Rocheuses. Ainsi, ce vaste territoire, ajouté à la Nouvelle-Espagne (le Mexique), permettra aux Espagnols d’occuper une grande partie du continent nord-américain et d’étendre leur influence.

(Source : Si l’Amérique française m’était contée, par Jean-Marie Montbarbut Du Plessis, Montréal, L’Hexagone, 1990).

Pour en apprendre plus :

La guerre est un mal qui déshonore le genre humain (Fénelon, homme d'Église et écrivain français). Photo : Histoire-du-Quebec.ca
La guerre est un mal qui déshonore le genre humain (Fénelon, homme d’Église et écrivain français). Photo : Histoire-du-Quebec.ca.

Laisser un commentaire