Napoléon Bonaparte en 1807
Le Rédacteur se flatte que son papier ne peut pas avoir de préface plus excellente que la prière de l’illustre Lord Nelson, dont l’original est écrit de sa propre main, et a été composé lorsque la flotte ennemie paraissait, tel qu’il est à présent entre les mains de Sir William Scott.
« Que le Grand Dieu que j’adore, accore à ma patrie, et pour le bien de l’Europe, une grande et glorieuse victoire qui ne soit ternie par aucune action indigne ; et que l’humanité après la victoire soit le trait caractéristique de la flotte Britannique! Quant à moi, je confie mes jours à celui qui m’a créé; et puisse sa bénédiction éclairer mes efforts pour servir ma patrie fidèlement! Je me remets entre ses mains avec la Juste Cause que je suis chargé de défendre ! Amen! Amen! Amen! »
Cette composition si honorable à son célèbre auteur, a été écrite environ une heure avant la bataille de Trafalgar, et fait voir que la piété et l’héroïsme peuvent se trouver réunis dans le même caractère, et que celui qui tire l’épée pour défendre la juste cause de son pays, et le bien de l’espèce humaine, peut supplier avec confiance le Tout-Puissant de couronner ses efforts du succès.
La paragraphe suivant fait voir un peu de mots ce que le peuple de la Grande Bretagne ou de ses colonies pourrait attendre, si, par défaut d’unanimité et d’une juste ardeur, il se laissait envahir par les François; et est bien digne de l’attention de quiconque peut se plaindre des charges que l’on est obligé d’imposer au public pour se mettre à couvert ‘une pareille invasion, soit dans la mère patrie, soit dans ses colonies. Jetons un coup d‘œil sur les avantages de la presse.
Tant qu’un pays retient une partie e ce privilège, il reste aux opprimés, sinon l’espoir e rompre leurs chaînes, au moins une certaine consolation.
La publicité es faits peut tenir en bride les favoris de la puissance, et elle prononcerait leur arrêt, sans qu’on les traduisit devant aucun tribunal ; mais si la chose n’a pas lieu, la victime du despotisme saura au moins que ses vertueux concitoyens s’attendrissent sur son sort, et qu’elle en est peut-être même admirée et applaudie. Et cette réflexion allégera le poids de ses chaînes.
Mais nulle consolation de ce genre où le pouvoir de Bonaparte domine. Il a fait un pacte avec les ténèbres. Il s’est armé contre la pitié et les correspondances réciproques, aussi bien que contre le bonheur du genre humain. Il n’a pas, il est vrai, détruit les voies de la communication publique, mais il a fait pire : il les a toutes dévouées à son usage tyrannique. Il s’en est fait par violence des organes pour articuler toutes ses calomnies et ses impostures, et ne leur a permis de parler et de souffler que par sa bouche.
Les Bourbons de la France, ou même l’inquisition d’Espagne, gouvernaient la presse d’une manière purement négative. Robespierre, ses confrères et ses successeurs, ne la retenaient que par la terreur inévitable de leurs noms; et les journaux de Paris même nous apprennent les crimes les plus atroces de ces tyrans sanguinaires.
Mais avec plus d‘adresse et autant de cruauté que ses prédécesseurs, Bonaparte supprime tous les actes qu’il veut taire, ainsi que toute espèce de censure sur sa conduite, en se faisant de toutes les voies des informations publiques des canaux d’où découlent, comme en son nom toutes les impostures qu’il lui plait de mettre au jour. Si les victimes de sa tyrannie ne sont pas ensevelies dans l’oubli, leur caractère est diffame, et leur conduite calomniée. Et il ne leur reste pas le moindre moyen de défense. Non seulement on leur arrache la liberté et la vie, on les prive encore de la pitié de leurs amis, de leurs familles, et du genre humain.
Ne vous imaginez donc pas, sujets Britanniques, qu’une fois dans les fers de cette incomparable despote, si jamais vous vous laissez abattre sous le joug de sa puissance, vous eussiez la consolation d’apprendre que votre pays fût imbu et touché de vos plus cruelles afflictions, ou de la nombre fermeté avec laquelle vous pourriez les soutenir.
Vous pourriez, comme Pichegru, souffrir la mort dans les tourments, et être accusés de suicide : vous pourriez, comme D’Enghien, être assassinés, et être déclarés coupables d’assassinat. Vous pourriez, comme Toussaint, être plongés dans un cachot, et être décriés comme de vils traitres; vous pourriez encore, commet cette famille infortunée, être dérobés pour jamais aux regards de l’univers, ou être détruits en secret dans une prison, sans avoir une bouche pour annoncer au public, ou même à vos amis ont vous fieriez les recherches impatientes, la cause ou le genre de votre sort.
On ne finirait pas, s’il fallait détailler cette infinité de maux particuliers que le renversement soudain e nos libertés amener chez un peuple généreux et magnanime.
Texte paru dans La Gazette Canadienne, édition du 3 août 1807.
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