Le monument à Louis-Joseph de Montcalm à Vauvert, en France
Le pur héros qui repose au Canada, dans cette noble ville de Québec qu’il défendit jusqu’à son dernier souffle, va avoir son monument en terre française, dans la petite ville de Vauvert, près de laquelle il naquit, le 28 février 1712. Il mérite l’hommage. Pour tardif qu’il soit, il vient à une heure excellente. Nous avons besoin de montrer aux générations nouvelles comment les aïeux savaient combattre et mourir. Même loin de la mère – patrie et oubliés par elle,
Montcalm, d’ailleurs, a des successeurs dignes de lui; les vaillants qui tombent là-bas autour de Casablanche reprennent ses traditions comme d’autres les reprirent dans les campagnes qui nous valurent notre admirable empire colonial.
Mais quelle épopée superbe que celle de ce grand soldat luttant contre toute espérance, avec une poignée de braves, soldats ou colons, contre une armée anglaise sans cesse renforcée, alors qu’on refusait à Montcalm, le moindre renfort! Il avait tout contre lui, l’opinion, la Cour, le roi et jusqu’au « Roi Voltaire » s’élevant contre la défense de « quelques arpents de neige. »
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Ces arpents de neige sont aujourd’hui un des plus vastes et des plus florissants pays du monde. Deux millions de Canadiens ayant conservé la langue et la culture intellectuelle les peuplent, il y aurait là vingt millions de Français si l’on avait aidé Montcalm et continué à déverser sur les rives du Saint-Laurent le flot des émigrants attirés par un sol, offrant les mêmes ressources que nos terres de la vieille Gaule.
Cette défense de la colonie est une des plus belles pages de notre histoire militaire, la plus glorieuse peut-être si l’on considère l’énormité de l’effort exigé et la faiblesse des ressources des défenseurs. Pendant trois années les nôtres luttèrent pied à pied, infligeant souvent de véritables désastres à l’ennemi. Il semblait que celui-ci dût renoncer au succès. Il en aurait été de la sorte si Montcalm avait été soutenu.
Le marquis de Montcalm fit preuve dans cette lutte disproportionnée des qualités les plus hautes. Ce fut bien réellement un grand capitaine dans toute l’acception du mot. En vain l’adversaire, pour l’écraser, se mit-il à six contre un, les habiles dispositions du chef français aidé par des lieutenants dévoués retardèrent longtemps l’insuccès final.
* monument à Montcalm
Montcalm était en pleine vigueur de corps et d’esprit lorsqu’on l’envoya commander au Canada, il avait quarante-quatre ans seulement. Officier dès son enfance, comme on l’était souvent en ce temps-là, quand on était de grande noblesse, il était capitaine à dix-sept ans. À vingt-et-un ans il voyait le feu et prenait une part brillante aux campagnes d’Allemagne. Son avancement fut rapide, puisqu’il devenait colonel en 1843, à 31 ans. À la tête du régiment d’Auxerrois, il s’était montré héroïque dans la campagne d’Italie de 1744 à 1745. Payant de sa personne, il tombait à Plaisance frappé de cinq coups de sabre. Devenu général, il a de nouveau reçu une blessure.
Jusqu’alors Montcalm avait été un soldat brillant, mais n’avait pu révéler ses qualités de grand commandant. Le Canada lui permit de montrer qu’il était digne du premier rang.
On avait donné un chef à la colonie, mais on n’avait pas accru l’armée. Quand Montcalm eut le plus de forces en mains, il disposait à peine de 5,000 hommes, peu pourvus de munitions; en face de lui Anglais mirent jusqu’à 30 000 soldats. Malgré cette formidable disproportion et de maigres ressources, Montcalm entreprit une campagne superbe, battit l’ennemi, lui enleva des forts, détruisit ses comptoirs. En s’emparant du fort William-Henry, il faisait 3,000 prisonniers. Dans une véritable bataille, à Carillon, il infligeait au général Abercromby une défaite complète.
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Mais tant d’héroïsme n’aurait été couronné par le succès final que si Montcalm avait pu préparer ses pertes en face d’un adversaire qui compensait amplement les siennes. Il fallut abandonner l’offensive, Montcalm se retira dans Québec, investi par le général Wolf à la tête de troupes supérieures en nombre, comme toujours.
En vain Montcalm tenta-t-il de rompre le cercle de fer qui l’entourait, en vain dans ses sorties infligea-t-il à Wolf des échecs dont le plus éclatant fut la bataille de Beauport. Une surprise nocturne mis enfin les anglais en possession de la ville. Montcalm résista héroïquement et se retira derrière la rivière St-Chalres, mais l’ennemi le suivit, le submergea sous le nombre dans la plaine d’Abraham et écrasa nos malheureuses troupes. Montcalm fut frappé à mort dans la bataille et avec lui le général Wolf. Tous deux, vaincu et vainqueurs, reposent côte à côte sous le même monument.
Rarement autant d’énergie, de vaillance et de génie furent dépensés à un tel degré par un chef. D’autres ont obtenu un monument de la reconnaissance nationale, qui ne firent pas autant pour la patrie.
* monument à Montcalm
Le sang de Montcalm et de sa poignée de vaillants n’a d’ailleurs pas été dépensé en vain. Il a fait germer un peuple d’une merveilleuse vitalité. Cette lutte de trois années pendant lesquelles on a si souvent battu un adversaire six fois plus nombreux et mieux pourvu de vivres et de munitions, donna conscience de leurs forces aux premiers Canadiens-français. L’âme de ces vaillants s’est perpétuée. C’est à Montcalm, à sa foi dans l’avenir que l’on doit de posséder sur ce continent où ne flotte plus notre drapeau le plus merveilleux réservoir d’énergies que possède notre race.
Souhaitons donc au comité de Vauvert le succès de son entreprise, puis-se bientôt se dresser près de ces Algues-Mortes où plane le souvenir de St-Louis, le monument dont le sculpteur Morice a conçu la maquette.
(Texte d’Ardouin-Dumazet, paru dans le journal Le Canada, le 3 avril 1908).