Montréal vers 1830
Le Montréal de 1830 était bien différent de celui des Français de 1760. La partie commerciale de la ville se centralisait toujours dans les rues St-Paul et Notre-Dame, mais avait tendance à gagner les faubourgs, où s’établissait le petit commerce de détail, pour les besoins de la population.
L’incendie et l’expansion du commerce avaient fini par changer l’aspect du vieux Montréal français, soit par la destruction des premiers édifices, ou leur changement de destination.
Le vieux fort de Maisonneuve avait été démoli et les pierres avaient servi à la construction de la première église, sur la Place d’Armes et qui devait elle-même disparaître après 1830.
Le feu avait rasé L’Hôpital des Frères Charron. On l’a remplacé par un autre sous l’administration des Sœurs Grises.
On reconstruit l’Hôtel-Dieu deux fois au coin des rues St-Paul et St-Sulpice.
Le feu avait aussi détruit le Château de Vaudreuil, devenu le collège de Montréal, en 1803.
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La vieille prison française avait fait place à l’église cathédrale anglicane, construite en 1805. Le monastère et l’église des Jésuites avaient été démolis et remplacés par le palais de justice et la prison vers 1805. Le château de Ramezay, longtemps la résidence des gouverneurs, fut délaissé, les chefs de l’État ayant fait l’acquisition d’une nouvelle maison construite par M. Bingham, au coin nord-ouest des rues Notre-Dame et Bonsecours, et brûlée en 1849. (Cet hôtel du gouvernement s’élevait à l’endroit, où se trouve aujourd’hui la Pharmacie Contant, le plus vieil établissement du genre, ayant plus de 100 ans).
On avait rasé la citadelle française. Ensuite on convertit le terrain en place publique, qui prit le nom de Carré Dalhousie, en souvenir du donateur. C’est vers ce temps-là aussi que dut être démoli le couvent des Récollets. Sept à huit cents maisons d’habitation et de commerce étaient aussi disparues par le feu ou la démolition. De nouvelles bâtisses plus modernes et généralement en pierre les avaient remplacées.
De beaux monuments d’architecture étaient venus s’ajouter à l’antique cité française, si éprouvée par le feu, et le vandalisme des démolisseurs. La nouvelle église Notre-Dame, inaugurée en 1830, était le plus beau monument d’architecture de l’époque — style gothique français. En face se dressait le nouvel édifice de la Banque de Montréal — ordre dorique. Au nord-est, le palais de justice — ordre dorique; à l’est le marché Bonsecours, imposante construction, aussi de style dorique. On le construit au coût de $200,000. L’étage supérieur servit longtemps de salle du conseil municipal.
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En 1825, John Molson s’était fait le promoteur d’un projet de théâtre à Montréal. Il organisa une compagnie à fond social, dont il fut le principal actionnaire et le grand animateur. La même année le théâtre Royal construit à l’extrémité est de la rue St-Paul au coût de £6,000. Ce premier théâtre était de caractère anglais.
Au nombre des constructions importantes de cette époque, on doit aussi mentionner le grand hôtel de l’Italien Rasco, situé rue St-Paul, en face de l’extrémité ouest du marché Bonsecours. La bâtisse, construite en 1836, et qui existe encore avait coûté £9,840 et l’ameublement, £3,300. C’était l’endroit select, où se donnait rendez-vous la bonne société de Montréal et les voyageurs de haut rang.
De passage à Montréal, sir Charles Bagot, le gouverneur, y descendait toujours avec les officiers, cadets de famille, et assistait au théâtre de chambre que l’on jouait à cette occasion. Charles Dickens, le célèbre romancier anglais y fit un long séjour en 1842. En présence du gouverneur, il se fit acteur avec lord Mulgrave, le capitaine Torrens, le Dr Griffin et madame Dickens. Rasco avait la réputa tion de tenir un ordre parfait dans son établissement.
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On raconte qu’un jour, au cours d’une réunion de jeunes officiers plutôt turbulents, le jeune lord Edward de M…. se permit quelque impertinence à l’adresse du propriétaire.
Appelant Torn, son fidèle serviteur, Rasco le charge de mettre à l’ordre le noble officier en goguette. Ce dernier défit Torn de le faire taire parce qu’il s’appelle, lui, lord Edward de M. … fils du Duc de S. ) Well then, lui retorque aussitôt le fidèle Tom, Out you go, my lord Edward.
Et il le lance par la fenêtre du premier étage. Le jeune homme se ramassa dans les ténèbres de la nuit. Il put alors réfléchir tout à son aise sur la vanité d’un beau nom de famille.
(Source du texte : Charles Bertrand. Histoire de Montréal, v. 2).