La monnaie de carte en Nouvelle-France
Benjamin Sulte fait ainsi l’historique de la monnaie de carte :
« L’intendant de Meulles était venu en Canada en 1682 et s’apercevant que nous vendions à la France moins que nous n’achetions d’elle, il comprit pourquoi le Canada se trouvait sans argent.
Les habitants avaient recours au troc, à la manière des Sauvages. On donnait un objet, un article quelconque en échange de ce que l’on achetait ou du travail exécuté. Cet état primitif était par trop gênant.
En sus, depuis 1684, le roi envoyait un détachement de soldats pour garder les dépôts de pelleteries et mettre obstacle aux maraudes des Sauvages, mais il oubliait de le payer tout en ordonnant de le faire vivre. De Meulles conçut l’idée de fabriquer de l’argent au moyen de sa signature, dans l’espoir que le roi lui ferait l’honneur de rencontrer ces obligations.
Le roi approuva la mesure et ne paya guère. Faute d’imprimerie, on devait écrire les sortes de « bons » à la plume; faute de carton, il y avait le papier ordinaire, mais celui-ci était tellement ordinaire qu’il n’avait aucune consistance. On adopta le dos blanc des cartes à jouer qui abondaient au magasin, paraît-il. Sur le dos de la dame de trèfle, par exemple, on écrivait: « Bon pour la somme de quatre livres ».
L`Intendant de la Nouvelle-France signait et posait son sceau de cire. Le trésorier de la colonie signait. Parfois, le gouverneur signait aussi, la seconde dénomination était de quarante sous, sur une moitié de carte. La troisième, quinze sous, prenait un quart de carte, avec des lettres initiales au lieu de la pleine signature.
Après 1720, on eut recours aux cartons, mais c’était la même chose, en empirant, si bien que, rendu à 1760, il y avait plus de quatre-vingts millions de francs de ces écritures qui n’étaient pas payées et que le trésor français répudia. Rien de semblable à nos cartes n’existait en Europe lorsque l’intendant signa sa première pièce de cette monnaie.
Il créait un nouveau genre de circulation financière. La banque de Venise n’avait rien de pareil. La banque de Hollande s’en approchait encore moins. Aucun monarque ne répandait du papier en guise d’argent. La banque d’Angleterre n’existait pas encore en 1685. »
M.Benjamin Sulte, cité d’après Mgr. Olivier Maurault, Marges d’histoire, Saint-Sulpice, p.155, 1923.