Le monde prend forme
Le monde prend forme… Insensiblement, l’Âge des Découvertes engendrait celui de la colonisation. En admettant même que les Européens eussent pris conscience de cette évolution, les problèmes de la colonisation retenaient bien trop leur attention pour qu’ils aient pu marquer un temps d’arrêt et mesurer l’ampleur des résultats acquis. Avec le recul des siècles, toutefois, les réalisations de cette époque paraissent écrasantes.
Le fait majeur était constitué évidemment par la découverte de nouvelles terres, appelées à accéder un jour à une puissance supérieure à celle de l’ancien continent. Autre développement important, l’exploration devenait systématique, processus qui exigeait une rupture complète avec les méthodes de pensée du Moyen Âge. Les faits réels se dégageaient des brumes des mythes anciens; un certain nombre de dogmes moyenâgeux, tant politiques que religieux ou sociaux, subissaient des modifications; de nouveaux aliments changeaient jusqu’au mode de nutrition des Européens, et, à la longue, le vieil équilibre des puissance en Europe se modifiait.
L’explorateur était évidemment le personnage clef de tous ces bouleversements. De quel genre d’homme s’agissait-il? Publié en 1516, l’Utopia de Thomas More contient un des premiers portraits littéraires de l’explorateur, un peu romancé peut-être, mais brossé à partir de faits assez réels. L’auteur y raconte les voyages d’un certain Raphaël Hythlodaeus, et en particulier ses aventures sur l’île d’Utopia (du grec : ou, non, et topos, lieu). Où tous les fléaux qui affligent l’homme, la guerre, la pauvreté, par exemple, ont une influence réduite.
Raphaël, nous dit-on, « était déjà sur le déclin de l’âge. Le teint basané de l’inconnu, sa longue barbe, sa casaque tombant négligemment à demi, son air et son maintien annonçaient un patron de navire ». Portugais d’origine, Raphaël « s’attacha à la personne et à la fortune d’Améric Vespuce. Il n’a pas quitté d’un instant ce grand navigateur, pendant les trois dernier des quatre voyages… mais il ne revint pas en Europe avec lui.
Améric, cédant à ses vives instances, lui accorda de faire partie des vingt-quatre qui restèrent au fond de la Nouvelle-Castille… Il veut donc rester sur le rivage suivant son désir, car notre homme ne craint pas la mort sur une terre étrangère, il tient peu à l’honneur de pourrir dans un tombeau.
Et More nous conte comment, à partir du Nouveau-Monde, Raphaël trouva son chemin jusqu’à Calicut, puis jusqu’au Portugal, traversant en route le pays d’Utopia.
More fut le contemporain de nombre d’explorateurs et l’on peut donc présumer qu’il a bâti la personnalité de son héros barbu à partir de faits observés. Dans quelle mesure ce voyageurs imaginaire représente-t-il fidèlement l’explorateur de la Renaissance et les navigateurs, qui ouvrirent des routes maritimes en direction de l’Asie ou des Amériques? Possédaient-ils la même soif de connaissances que Raphaël? Croyaient-ils, comme lui, que les indigènes, vivant à quelques centaines de milles de l’Europe, avaient beaucoup à apprendre aux hommes du vieux continent ?
Les clefs des barrières océanes
« J’ai remis les clefs de ces barrières océanes, fermées à l’aide de lourdes chaînes », écrit Christophe Colomb. Il disait vrai ; ses voyages avaient permis à l’homme de faire le plus grand bond de son histoire. Dressée en 1502, cette care offre une conception neuve des espaces terrestres.
Remarquablement détaillé, ce document géographique est connu sous le nom de carte de Cantino, en mémoire de l’envoyé du duc de Ferrare, prince italien amateur de cartes et qu’impressionnaient les découvertes espagnoles et portugaises ; elle fut exécutée en secret. Au XIXe siècle, un collectionneur la découvrit dans une boucherie de Modène.
Elle fournit une description détaillée de la côte africaine, mais donne aussi sa véritable forme de péninsule à l’Inde, quoique son extrémité sud soit trop effilée. Elle utilisait les renseignements recueillis par diverses explorations portugaises.
L’esquisse du Nouveau Monde est particulièrement intéressante ; Colomb avait rapporté de ses voyages des descriptions étonnamment précises ; la carte montre les îles des Indes occidentales, la côte du Venezuela, de la Guyane et du Brésil. L’examen de cette carte incite à penser qu’au mépris du traité de Tordesillas et de la ligne de partage des zones d’influence espagnole et portugaise d’autres voyageurs s’étaient lancés dans le sillage de Colomb. Comment expliquer autrement que, onze ans avant la proclamation par Ponce de Léon de la découverte de la Floride, la carte fasse état d’une terre au-delà de l’Oceanus Occidentalis ?
Améric Vespuce
Avec deux navires sous commandite espagnole, Améric Vespuce avait déjà exploré la côte nord du Brésil en 1499. Passé sous pavillon portugais, il fit voile en 1501 pour exploiter la découverte de Cabral. Longeant la côte américaine, à partir du cap Sao Roque, dans les parages de Natal (Brésil), il descendit jusqu’à l’embouchure du Rui de la Plata et peut-être même jusqu’à la Patagonie, car certains détails de son voyage demeurent obscurs.
Vespuce, qui n’était pas un grand marin, comme Colomb, possédait la formation voulue pour interpréter ses découvertes. La Chine, le Paradis terrestre, ne le préoccupaient guère ; aussi se montra-t-il plus péremptoire que ne l’avait été Colomb sur la nature des terres découvertes. En 1504, il écrivait que les terres situées par-delà l’océan constituaient un continent « qu’il y aurait tout lieu d’appeler un nouveau monde. » Cette phrase enflamma l’imagination Martin Waldseemuller, un géographe allemand, qui décida de donner le nom d’Améric Vespuce à cette nouvelle partie de la terre. Sur sa carte du monde, publiée en 1507, ces terres du sud portaient le nom d’América, pénible erreur qui créera une injustice permanente à l’égard de Christophe Colomb. Lorsqu’il devint par la suite évident que les deux grandes masses de terre, situées au nord et au sud, ne formaient qu’un continent, le nom d’Améric fut attaché à l’ensemble.