Menu des cultivateurs : La tire-leche, la pitoune, les tartes à la ferlouche, la poutine glissante… – Le carême
Par Hector Berthelot (publié en 1884)
Menu des cultivateurs : La cuisine de nos grands-pères offrait peu de points de différence avec la cuisine bourgeoise de nos jours. Ses traditions ont été conservées dans presque toute leur pureté par nos ménagères. Il y a bien quelques articles du menu du bon vieux temps qui sont disparus depuis une vingtaine d’années, mais les pièces de résistances restent les mêmes.
On ne parle jamais, aujourd’hui, de la soupe de la Vierge. Cette soupe se composait de lait, de chou blanc et d’œufs. Ce potage était servi très souvent dans les villes.
Les premiers colons du lac Aylmer, dans le comté de Lambton, avaient un plat spécial appelé la tire-liche. La tire-liche était un ragoût dont les éléments étaient des tranches de lard, des oignons, de la citrouille et de la mélasse.
Les anciens cultivateurs mangeaient souvent de la pitoune, une galette faite avec de la grosse farine de sarrasin et de la mélasse.
Les tartes à la ferlouche étaient et sont encore un dessert bien populaire dans les campagnes.
Dans ces tartes, les cultivateurs remplaçaient les confitures par un mélange de mélasse et de farine.
Les jours de fête, on servait comme dessert de la poutine glissante. On appelait ainsi une pâte épaisse, coupée par carrés et bouillie dans l’eau.
On voyait figuré, sur le menu, le café d’orge. Les gens grillaient les grains d’orge dans un fourneau et on les faisait infuser comme la graine aromatique de Moka.
Ils prenaient toutes les parties maigres du porc. Par la suite, ils les faisaient bouillir dans une grande marmite. Cela donc en les entremêlant avec des carreaux de pâte. On soumettait ce mélange à la gelée. Par la suite il servait aux repas de gala pendant tout l’hiver.
On rôtissait les épis de maïs sur la braise des grandes cheminées entre des chenets. On laissait prendre au blé d’inde une couleur foncée avant de le retirer du feu.
Le carême, tel qu’il était observé par les anciens, était beaucoup plus rigoureux que celui de nos jours. On ne permettait pas de manger de la viande et des œufs, depuis le Mercredi des Cendres jusqu’au déjeuner de Pâques. Le catholique ne faisait que deux repas par jour, excepté le dimanche où il en faisait trois.
Comme il n’y avait pas de communication facile avec Halifax et Portland, les poissons de mer figuraient rarement sur la table du riche. Ainsi le pauvre faisait son carême avec la morue et le hareng salés.
Dans les villages plus d’un cultivateur pendant le carême se rendaient à la grange tous les matins à quatre heures et demie. Ils battaient du grain jusqu’au moment de son déjeuner à onze heures et demie.
Les dispenses se donnaient ainsi dans des cas extrêmement rares. L’Église permettait par ailleurs aux hommes de chantier, qui travaillaient à abattre des arbres, de manger avec leur pain un peu de graisse au lieu du beurre.
Le carême de nos pères étaient réellement un temps de pénitence et de mortification. En fait, riche comme pauvre devaient renoncer aux douceurs de la table. À la fin de l’année, ils ne s’en portaient pas plus mal, au contraire.
20 décembre 1884.
Lire également :