Mentalité de l’époque

Mentalité de l’époque en Nouvelle-France

Aux événements d’ordre général, se mêle tout un ensemble de faits particuliers de la vie quotidienne, qui relèvent surtout du récit anecdotique.

S’ils n’ont pas l’intérêt fondamental des grands événements, qui traversent comme une trame la chaîne continue de la vie ordinaire, ils sont pourtant caractéristiques de la mentalité vraie de l’époque. L’histoire d’une ville n’est-elle pas faite surtout de ces petits incidents et accidents, qui surgissent à tout propos et animent la physionomie monotone de la cité? Peut-on les négliger?

On sait que la justice du temps était particulièrement redoutable aux criminels, dont la malice était évidente ou dont le mauvais exemple était à craindre. La sévérité était dans les mœurs de l’époque. Les châtiments corporels étaient encore en usage et l’on a vu que les instruments de supplice restaient montés en permanence sur la place du marché.

En 1735, un nommé Jean Dupuy, convaincu de s’être défait et homicidé lui-même, fut l’objet d’un procès au criminel. Il fut ordonné que son cadavre serait attaché au derrière d’une charrette et traîné sur la claie, la tête en bas, la face contre terre, par les rues de la ville jusqu’à la Place Royale, de là, ramené devant la prison pour y être pendu pendant 24 heures et son corps jeté à l’eau. La sentence infamante ne fut pas exécutée.

À la demande de la malheureuse veuve, sur les instantes prières de personnes influentes, on prit en considération la bonne conduite antérieure du suicidé. Son corps fut seulement privé de sépulture chrétienne.

Un soldat nommé Léonard Dufour dit Prêtaboire avait été convaincu de violence criminelle. La cour le condamna à la peine du fouet, à être marqué de la fleur de lys, puis envoyé aux galères perpétuelles. La punition parut encore trop douce. Le Conseil Supérieur ordonna de le pendre. (Archives de la Marine: «Collection Moreau Saint-Méry », vol. 10, folios 207-225.)

Un cas d’incantation théurgique s’est présenté en 1742. Charles François Havard de Beaufort dit l’avocat, soldat de la garnison, Charles Lanoue et Charles Robidoux, cordonniers, passèrent en cour d’assises. De Beaufort était accusé d’avoir profané les paroles du Nouveau Testament, ainsi que la représentation de Jésus-Christ crucifié, en faisant servir l’un et l’autre à des pronostications et autres usages profanes et illicites, même d’avoir cuit les extrémités du dit crucifix, et de l’avoir approché des flammes pour sécher les drogues qu’il avait mises sur le dos du bois de la croix. Il fut condamné à être battu, fustigé, et à faire trois ans de galères. (Archives de la Marine: «Collection Moreau Saint-Méry», vol. 11 F, folio 85.)

Après les désastres de 1721 et 1734, l’intendant Hocquart avait ordonné aux particuliers de mettre des échelles sur leurs maisons et bâtiments et d’installer dans les greniers des béliers pour défoncer les toits en cas de sinistre. Il fit publier partout que les cheminées devaient être ramonées une fois par mois. Ce service était fait dans les villes par de petits Savoyards. En 1729 le gouverneur et l’intendant demandaient au ministre d’envoyer quatre Savoyards de 12 à 14 ans pour Québec et Montréal; les deux, envoyés il y a quelques années, étant devenus trop gros pour entrer dans les cheminées.»

L’entretien des chemins — été comme hiver — était laissé aux particuliers. Il faut croire que plusieurs négligeaient ce soin, puisque l’intendant dut intervenir.

Il ordonna aux citoyens de faire des sentiers au devant de leurs maisons après chaque abat de neige. Il eut même la fantaisie de défendre aux individus de se jeter entre eux et de lancer aux passants des boules de neige.

Il était aussi prohibé de faire trotter les chevaux en face des églises à la sortie des offices le dimanche; comme aussi d’exposer en vente dans la ville des aliments ou boissons enivrantes les jours de fêtes patronales, très nombreuses à cette époque. En 1744, l’évêque de Québec en supprima dix-sept, dont il renvoya la célébration au dimanche (( afin de ne pas nuire aux travaux des champs et autres.

Il est probable que les citadins de ce temps-là se préoccupaient fort peu de la propreté et de la belle ordonnance de la ville, car, en plusieurs occasions les autorités ordonnent aux propriétaires de clôturer leurs terrains, d’entretenir les chemins et sentiers. Sans cesse on rappelle aux habitants qu’ils doivent empêcher leurs animaux d’errer par les rues de la ville.

Comme dernière sanction aux divers règlements sur ce sujet, le subdélégué de l’intendant permit à toutes personnes de tuer les cochons, trouvés errant dans les rues et de s’en approprier la viande. Cette radicale sanction dut être plus efficace que tous les principes d’hygiène, dont les anciens avaient une notion plutôt rudimentaire.

Dans un domaine, relevant davantage de ses hautes attributions, l’intendant Hocquart intervint, pour empêcher l’exploitation du public par les marchands. Pour prévenir les malheurs d’une famine que l’on croyait menaçante, (1729) l’intendant défendit de laisser sortir aucuns blés du gouvernement de Montréal. Il se trouva que ces sages précautions étaient inutiles, les accapareurs du temps ayant fait de fausses déclarations sur les approvisionnements réels en réserve. Déjà, comme on le voit, on jetait dans le public de fausses rumeurs, pour créer la rareté fictive d’un produit de première nécessité et en faire monter les prix.

Durant tout le régime français d’ailleurs, les pouvoirs publics se préoccupent de réglementer prix et distributions équitables des denrées alimentaires, selon que l’exigent les circonstances.

L’esclavage à Montréal

L’esclavage a existé en Canada comme dans les colonies américaines. On en retrace l’origine dès la fin du XVIIe siècle, vers 1689. Il dura tout le XVIIIe siècle.

Il y avait deux catégories d’esclaves; les Panis, tribu sauvage du centre américain, et les nègres des possessions françaises. (Jacques Viger: «Mémoires de la Société historique de Montréal », 1872.) L’esclavage des Panis était pratiqué sur une haute échelle à Montréal, sous le régime français. On compte des esclaves panis dans toutes les maisons bourgeoises. (O.-M.-H. Lapalice: «Antiquarian and Numismatic Journal», 1915, p. 137.)

Dans la seule année 1761, le nécrologe de Notre-Dame mentionne vingt-cinq décès de cette catégorie d’esclaves, soit le dixième de toutes les sépultures de l’année. Celui de l’Hôpital Général des Sœurs Grises en contient plusieurs autres. Quant aux esclaves nègres, ils étaient moins nombreux que les Panis. On les trouve plutôt au service des hauts fonctionnaires, des institutions et des riches.

Il est difficile de retracer les causes qui amenèrent l’esclavage de la tribu des Panis, laquelle d’ailleurs est elle-même assez mal connue. Les récits de découvertes, les mémoires des expéditions militaires dans l’ouest canadien et le centre américain ne laissent rien soupçonner de l’existence même de ces sauvages. Comment ces esclaves furent-ils amenés à Montréal? C’est un point que l’histoire n’a pas encore éclairci. (Dans une ordonnance de Raudot, du 3 avril 1709, il est dit que les Panis étaient des « sauvages, dont la nation est très éloignée de ce pays; et qu’on ne peut en avoir que par les sauvages, qui vont les prendre chez eux et les trafiquent le plus souvent avec les Anglais » de la Caroline, et qui en ont quelquefois vendu aux gens de ce pays.» — Édits et Ordonnances Royaux, 1856, vol. Il, p. 271).

Au temps des Français les esclaves, noirs ou panis, étaient plutôt traités en serviteurs qu’en esclaves. La plupart, sinon tous étaient convertis au catholicisme.

À cause des rigueurs du climat canadien, les esclaves mouraient jeunes. Les services qu’on en retirait ne compensaient pas toujours les frais d’achat, les dépenses d’entretien, parce qu’on les achetait généralement en bas âge.

Plusieurs arrivaient au pays avec des habitudes de vie et des mœurs peu régulières. On se hâtait de régulariser leur situation par le mariage. Leurs maîtres pouvaient les rendre à la liberté par un acte passé en due forme par devant notaire. Pour exécuter les hautes œuvres de la justice: flagellation, pendaison, on employait surtout des nègres.

Les esclaves adultes se vendaient de 200 à 500 livres. On en paya jusqu’à 1000 livres. Il s’en vendait de très jeunes, de ceux qui naissaient au pays, dans l’espoir d’en retirer plus tôt des bénéfices.

En 1798 on mit en doute la validité et la légitimité de 1’ esclavage au Canada. Plusieurs esclaves en profitèrent pour déserter le service de leurs maîtres et s’émanciper eux-mêmes. Les propriétaires s’adressèrent au Parlement pour faire reconnaître leurs droits. La Législature décréta d’abord que de nouveaux esclaves ne devaient plus entrer dans ce pays; mais que les maîtres avaient droit de propriété sur les anciens. L’esclavage fut définitivement aboli par la loi en 1833.

Voir aussi :

Mentalité de l'époque
Monument dans le Vieux-Montréal. Photo d’Histoire-du-Québec.ca.

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