Médecine naturelle des Amérindiens et ses caractéristiques
Ce serait une matière assez curieuse et assez belle à traiter que celle de la médecine naturelle des Sauvages. L’une et l’autre Amérique dans leur vaste étendue sont remplies de plantes admirables, dont il y en a plusieurs de spécifiques pour certaines maladies, et avec quoi ils font des cures surprenantes. Mais outre qu’un missionnaire n’a guère le temps de L’appliquer à cette recherche, et qu’il craint même de le faire, de peur de paraître approuver les superstitions et les sottes imaginations des Sauvages sur leurs remèdes les plus simples, ils en sont eux-mêmes assez jaloux, et chacun fait mystère de ceux qu’il a découverts, ou dont la connaissance est héréditaire dans sa famille. Cependant, si j’étais resté dans ma mission, je n’aurais pas désespéré d’y faire quelques découvertes utiles, auxquelles les occupations que j’ai eues pendant le séjour que j’y ai fait ne m’ont pas permis de vaquer.
La guérison des blessures est le chef-d’œuvre de leurs opérations, et ils font sur ce point des choses si extraordinaires qu’elles pourraient paraître presque incroyables. Je pourrais en citer plusieurs exemples, mais je me contenterai d’en rapporter deux qui ont eu bien des témoins. Le premier est d’un Sauvage abenaqui, qui ayant été blessé dans l’ivrognerie, et ayant eu les boyaux entamés et percés, fut guéri par ceux de sa nation, qui le traitèrent à Montréal, et le sauvèrent contre l’opinion des médecins et des chirurgiens. Le second est d’un de nos guerriers, qui était allé en guerre contre la nation de Outagamis ou Renards. Il fut blessé d’un coup de feu à l’attaque d’un village de Kakapous, et eut l’épaule fracassée. Celui qui le pansait, ayant été tué peu de temps après, pour s’être écarté trop imprudemment en allant chercher des plantes, il fut ensuite mal soigné, et eut beaucoup à souffrir de la faim et des autres incommodités d’un voyage de plus de sept cents lieues, après lequel il se rendit avec une plaie, qui, depuis plus de six mois qu’il l’avait reçue, pouvait passer pour invétérée.
On l’entreprit néanmoins; et quoiqu’il fût si mal que je fus obligé de lui administrer les derniers sacrements, et qu’il n’y eût rien, ce semble, à espérer d’une plaie si vieille, il ne laissa pas de se tirer d’affaire, et de recouvrer la santé, où un Européen aurait peut-être perdu mille vies.
Ils composent une eau thériacale pour les plaies, qui produit ces effets merveilleux. Cette composition est de différentes sortes. L’une est de quelques plantes vulnéraires, parmi lesquelles ils établissent aussi différentes classes selon les divers degrés de leurs vertus. L’autre est des arbres vulnéraires, du tronc ou de la racine desquels ils enlèvent quelques éclats dont ils composent leur remède. La troisième enfin est tirée du corps de divers animaux, et surtout du cœur qu’ils font sécher, et dont ils font une poudre, ou une espèce de mastic.
Cette eau thériacale de l’une de ces compositions est peu chargée, parce qu’ils y mettent peu de matière. Elle ne paraît guère différente de l’eau commune, si ce n’est qu’elle est un peu plus jaunâtre. Son effet est de pousser au-dehors non seulement les humeurs vicieuses qui ont coutume de se former dans la plaie, mais encore les esquilles des os brisés, et les fers des flèches qu’on voit tomber par la vertu de ce dictame.
Le malade commence par boire de cette eau, qui lui tient lieu de toute nourriture pendant qu’il est en danger. Le médecin, après avoir visité la plaie, en boit aussi lui-même, afin que sa salive en soit empeignée, avant que de la sucer, ou de la seringuer avec la bouche.
La plaie ayant été bien seringuée, le médecin la couvre de telle manière que rien ne touche aux chairs entamées; tout au plus, il met autour un cercle d’herbes médicinales, dont il aura fait une décoction. Ils sont persuadés que tout corps étranger qui toucherait la plaie ne ferait que l’irriter et changer les humeur en pus, lequel se conservant autour de l’appareil corroderait les chairs, les carierait, les envenimerait, et ne pourrait que retarde la guérison, au lieu de l’avancer.
On lève l’appareil de temps en temps régulièrement, et on recommence la même opération, laquelle est si efficace qu’on ne voit point la plaie de chairs baveuses et fongueuses, qu’il faille consumer par des caustiques; les lèves en sont toujours vermeilles, les chairs fraîches; et pourvu que le malade observe un bon régime, qu’il ne fasse pas d’indiscrétion, il est bientôt guéri.
Quelques-uns se persuadent que les Sauvages, n’usant point de sel, ont une chair plus douce et meilleur que la nôtre. Cela peut contribuer à leur guérison, je l’avoue; mais je suis persuadé qu’elle vient principalement de mais je suis persuadé qu’elle vient principalement de l’efficace de leurs vulnéraires, et peut-être encore plus de la manière de les appliquer, et du soin qu’ils prennent pour que la plaie ne prenne point d’air.
Ils ne réunissent pas moins bien dans les ruptures et les descentes, les dislocations, luxations et fractures. L’on a vu des os rompus, repris et consolidés, de manière qu’en huit jours de temps on en avait entièrement l’usage.
En général, leurs remèdes topiques sont très bons. Il n’en est pas de même leurs vomitifs et de leurs purgatifs. Ils son obligés de les doser fortement pour qu’ils puissent produire quelque effet. Ce sont comme des décoctions de lavements très dégoûtantes, et qui noient un estomac. D’ailleurs ils ne se croient pas purgés suffisamment s’ils ne prennent des médecines très fortes, qui les vident avec excès, et qui pourraient tuer un cheval.
Ils ont des secrets sans fin pour des maladies, où autrefois nous ne voyions presque pas de remède. Un Sauvage à Missilimakinal guérit en huit jours de temps un de nos missionnaires d’une paralysie universelle, qui le rendait perclus de tous ses membres, et l’obligeait de se faire porter à Québec pour s’y faire traiter; on a su son secret, mais on l’a perdu. Tout ce que j’ai pu en apprendre est qu’il allait au fond des marais chercher une racine qu’il mêlait ensuite avec de la cigue. J’ai vu une Sauvagesse dans ma mission, qu’on m’assurait s’être guérie d’une hydropisie formée; j’ai négligé d’apprendre d’elle comment et par quel remède. Ils se préservent et se guérissent des maladies vénériennes, que les Européens ont portées d’Amérique en Europe, par les râpures du bois de à ceux qui sont attaqués de ce mal infâme, et de les séparer du milieu du peuple, comme Juifs en usaient à l’égard de ceux qui étaient tachés de la lèpre. Dans les pleurésies, et dans toutes les maladies où il y a quelques pointe de douleur, ils tâchent de rompre la pointe par la répercussion, et ils médicamentent le côté opposé. Dans les fièvres ils tempèrent l’ardeur, et préviennent les transports par des lotions froides d’herbes médicinales, qui font un contraste avec le chaud.
La diète est chez eux un grand remède comme partout ailleurs; mais elle n’est pas toujours outrée, universelle, et ne consiste souvent que dans l’abstinence de certaines viandes, qu’ils croient contraires à la maladie dont on est attaqué.
Ils ne connaissaient point la saignée avant l’arrivée des Européens, et ils ne savent pas même encore s’en servir entre eux; mais ils y suppléent par des scarifications qu’ils font avec des pierres tranchantes, indifféremment dans toutes les parties du corps où ils ont du mal. Il y appliquent ensuite des courges vidées, qu’on peut appeler cucurbites, plus proprement que celles du verre, et ils les remplissent de matières combustibles où ils mettent le feu. C’était autrefois, et c’est encore un remède fort universel dans l’Égypte et chez les Orientaux.
Ils emploient assez volontiers les caustiques, les ustulations (brûlures) et boutons de feu, qui sont si fort en usage dans toutes les Indes orientales; mais au lieu de pierre infernale, ils se servent de bois pourri, dont l’ardeur est beaucoup moins vive que celle du bois vert.
Ils ignorent l’usage des lavements, et je n’en sache qu’un seul exemple que le père Garnier m’a dit avoir appris d’un Sauvage, des pays d’en haut vers les Outaouacs, qui faisait de ces sortes de composition. Il les mettait dans une vessie à laquelle il attachait une canule, et il faisait entrer le remède, en comprimant la vessie fortement avec les mains.
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