L’exploit de Marie-Madeleine de Verchères
Le hasard a fait que, me trouvant à l’âge de quatorze ans environ, à 400 pas du fort de Verchères qui est à mon père, à huit lieues de Montréal, dans lequel il n’y avait qu’un soldat en faction, les Iroquois, qui étaient cachés aux environs dans les buissons firent tout à coup irruption sur tous nos habitants, dont ils enlevèrent une vingtaine.
Je fus poursuivie par un Iroquois jusqu’aux portes, mais comme je conservai dans ce fatal moment le peu d’assurance dont une fille est capable et peut être armée, je lui laissai entre les mains mon mouchoir de col, et je fermai la porte sur moi en criant aux armes… et je montai sur le bastion où était la sentinelle.
Vous dirai-je, Madame (Lettre de Madeleine de Verchères à madame de Maurepas, 15 octobre 1699.) que je me métamorphosai pour lors, en mettant le chapeau du soldat sur la tête, et, que faisant plusieurs petits mouvements pour donner à connaître qu’il y avait beaucoup de monde, quoiqu’il n’y eut que ce soldat. Je chargeai moi-même un canon de quatre livres de balles que je tirai sur eux… Les Iroquois ne savaient pas qu’il n’y avait dans le fort que mes deux jeunes frères, âgés de douze ans, notre domestique, — un nommé Laviolette — deux soldats, — La Bonté et Galhet — et un vieillard, âgé de quatre-vingts ans, avec quelques femmes et quelques enfants.
Elle venait à peine d’entrer dans le fort qu’on aperçut un canot sur la rivière. C’était Pierre Fontaine avec sa famille, qui venait débarquer en face du fort au milieu des Iroquois.
Le fusil à l’épaule et le chapeau sur tête, Madeleine se précipite à la grève et accompagne les nouveaux venus jusqu’au fortin, à la vue des sauvages, décontenancés de tant d’audace.
Fortifiée de la nouvelle recrue, je commandai que l’on continuât à faire feu sur l’ennemi. Cependant le soleil se coucha; un nord-est impétueux, qui fut bientôt accompagné de neige et de grêle, nous annonce la nuit la plus affreuse qui se puisse imaginer. »
Jugeant par les mouvements des ennemis que ceux-ci voulaient s’emparer du fort à la faveur des ténèbres, elle assemble ses troupes, soit six personnes, et leur parle ainsi: « Dieu nous a sauvés aujourd’hui des mains de nos ennemis, mais il faut prendre garde de ne pas tomber dans leurs filets cette nuit. Je prends le fort pour mon partage avec un homme de 80 ans et un soldat … Et vous, Pierre Fontaine, La Bonté, vous irez à la redoute avec les femmes et les enfants … Si je suis prise, ne vous rendez jamais, quand même je serais brûlée et hachée en pièces à vos yeux. À l’instant, je place mes deux jeunes frères sur deux bastions, ce jeune homme de 80 ans sur le troisième, et moi je pris le quatrième. Chacun fit bien son personnage. Je puis dire avec vérité que je fus deux fois 24 heures sans dormir ni manger. »
« Le huitième jour — car nous fûmes huit jours dans de continuelles alarmes, toujours à la vue de nos ennemis, et exposés à leur fureur et à leur barbarie — M. de La Monnerie arriva avec 40 hommes. Je mis une sentinelle à la porte du fort et m’en allai au bord de l’eau pour le recevoir.
Aussitôt que je l’aperçus je le saluai par ces paroles: Monsieur, soyez le bienvenu, je vous rends les armes. — Mademoiselle, répondit-il d’un air galant, elles sont entre bonnes mains. — Meilleures que vous ne croyez, lui répliquai-je.”
« Il visita le fort, il le trouva en bon état, une sentinelle sur chaque bastion. Je lui dis: Monsieur, faites relever mes sentinelles, afin qu’elles puissent prendre un peu de repos; il y a huit jours que nous ne sommes pas descendus de nos bastions. »
Cet épisode de la guerre iroquoise est unique au Canada. Il est à peine croyable de la part d’une enfant de quatorze ans. On le comprend davantage quand on connaît la vie de Madeleine, mariée plus tard à M. de La Naudière, qui dut subir sa domination.
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