Fréquentations et mariage en Nouvelle-France

Fréquentations et mariage en Nouvelle-France

On ne se presse pas pour se marier au XVIIIe siècle comme on le faisait aux premiers jours de la Nouvelle-France. Dès le début du siècle, la quantité d’hommes et de femmes est en proportion égale et les filles repoussent leur mariage jusqu’à l’âge adulte. Le démographe Hubert Charbonneau a estimé que, pour la période allant de 1700 à 1729, la moitié des mariées étaient âgées de plus de 22,1 ans. Pour les hommes, lâge correspondant était de 25,8 ans. Les habitants du Canada peuvent se permettre de se marier plus jeunes qu’en France, où la rareté des terres et les crises de subsistance obligent les gens à remettre le mariage à un moment, où ils croient s’être assurés une certaine sécurité matérielle. Le niveau de vie plus élevé en Amérique permet de se marier plus tôt. Puisqu’on peut mieux assumer la charge supplémentaire des enfants qui naissent inévitablemen un an ou deux après la célébration du mariage.

Selon les diffrentes couches de la société, on peut avoir intérêt à retarder le mariage, soit pour préparer un trousseau chez les femmes, soit pour assurer une sécurité financière chez les hommes. Hommes et femmes peuvent avoir autant intérêt à diminuer le nombre de naissances possibles en reculant la date du mariage. Ainsi, vers 1750, les marchands de Montréal pratiquent une telles stratégie. L’historien José Igartua a estimé que l’âge moyen de ces hommes à leur premier mariage était de plus de trente ans et celui de leur épouse, de vingt-cinq ans. Donc, mariage plus tardif que dans l’ensemble de la population.

Lex taux de nuptialité demeurent relativement élevés tout au long du XVIIIe siècle. Les baisses périodiques dans le nombre annuel des mariages sont souvent le reflet de temps plus durs où guerres et maladies fauchent de futurs époux ou, du moins, rendent difficiles les fréquentations. Ainsi, selon les démographes Jacques Henripin et Yves Perron, le taux de nuptialité, pour toute la période 1711-1835, atteint son plus bas niveau entre 1776 et 1785. L’invasion américaine, la menace de guerre avec les Treize Colonies, quelques années de mauvaises récoltes et un fléchissement des prix agricoles, voilà autant de raisons pour ne pas se marier ou, du moins, pour retarder son mariage.

La plupart des Canadiennes prennent mari dans un cercle de connaissances relativement restreint. On épouse quelqu’un de la même classe sociale, de la paroisse ou d’une paroisse avoisinante. Au début du XVIIIe siècle, les Canadiens se marient le plus souvent avec des Canadiennes. Les immigrants choisissent surtout une des leurs. La présence des soldats en quartiers d’hiver chez les particuliers permet aux Canadiennes de faire la connaissance de jeunes Français. À certaines époques, les autorités françaises encouragent le mariage des soldats et leur établissement éventuel au Canada. Dans les bataillons de La Sarre et du Royal Rouissillon venus combattre avec Montcalm, pas moins de 15% des soldats se sont mariés au pays. Ces époux européens sont âgés de plus de vingt-huit ans en moyenne, selon les calculs du démographe Yves Landry, alors que leurs épouses ont le même âge que les autres filles du pays, soit entre vingt et un et vingt-deux ans. Dès l’occupation britannique, les Canadiennes de toutes les classes sociales se marient avec des soldats de l’armée anglaise. Un officier ou un marchand anglophone peut s’avérer pour celles-ci un bon parti. Ainsi, Marie-Catherine Fleury-Deschambault, veuve du baron de Longueuil, se remarie avec William Grand en 1770. Ses deux sœurs prennent John Fraser et William Dunbar pour maris. Puisque le mariage ne se termine qu’avec la mort de l’un ou de l’autre conjoint, il importe de bien choisir son future époux. Les considérations matérielles l’emportent sur toutes les autres. Chez les marchands, les seigneurs et les administrateurs, les origines familiales, la dot de la mariée ou la fortune du future époux comptent avant tout. Dans la société de l’Ancien Régime où le statut sociale est tributaire de la naissance, il est important de ne pas faire de mésalliance.

Les grandes familles de Nouvelle-France continuent à se marier entre elles et gardent ainsi la mainmise sur les privilèges qui accompagnent leur rang. Parfois, la richesse peut s’allier au statut social lorsqu’un marchand fortuné épouse une fille moins bien nantie mais de famille distinguée. De cette manière, au XVIIe et au XVIIIe siècle, on réussit à accomplir le renouvellement des premières familles de Nouvelle-France. Parmi les classes dirigeantes, le rôle social des femmes est important. Par ses connaissances mondaines et ses biens de famille, sinon par sa dot, une épouse peut constituer un apport capital pour la carrière de son mari ou de ses fils. Élisabeth Bégon raconte, sans ses lettre à son gendre en 1749, les différents projets de mariage dans les milieux mondains de la Nouvelle-France, n’hésitant pas à répéter l’opinion générale à propos de l’un de ceux-ci : « On dit que c’est un assez mauvais mariage du côté de la fortune. »

Plus les enjeux d’un mariage sont élevés, plus les parents ont intérêt à contrôler les fiançailles de leurs enfants. Puisque l’âge de la majorité est de vingt-cinq ans, selon la Coutume de Paris, le consentement des parents est indispensable. En pratique, rares sont les jeunes qui se marient sans l’approbation familiale, car la sanction peut être sévère. Par exemple, au début du XVIIIe siècle, le gouverneur Vaudreuil punit un jeune membre de la famille d’avoir osé se marier sans sa permission en le bannissant, lui et son épouse, à l’Île Royale (île du Cap-Breton).

À cause de telles sanctions, les mariages clandestins sont plutôt rares. Quoique rares, les mariages « à la gaumine » où l’homme et la femme s’épousent devant témoins lors de l’élévation pendant la messe ne plaisent aucunement aux autorités religieuses et civiles. En 1718, Mgr de Saint-Vallier émet un mandement menaçant d’excommunication ceux et celles qui ont recours à cette pratique de mariage. La même année, faisant fi de cette menace, Élisabeth Rocbert de la Morandière, vingt-deux ans, fille aînée du garde-magasin du roi à Montréal, épouse ainsi le chevalier Claude Michel Bégon, vingt-neuf ans, frère cadet de l’intendant Bégon et militaire de carrière. Comme il n’existe pas de caserne à Montréal à cette époque, Claude Michel habite dans la famille d’Élisabeth. Une bonne partie de ces mariages « à la gaumine » semblent être le fait d’officiers de l’armée française à qui on interdit un mariage qui limiterait leur disponibilité.

Les membres de la famille Bégon désapprouvent le mariage puisqu’ils jugent que le rang social d’Élisabeth n’est pas assez élevé pour leur ambitions. Ainsi, quelques-uns l’appellent l’Iroquoise, et la famille fait pression sur les autorités civiles et militaires dont dépend le jeune couple. Le mariage dura trente ans, mais on ignore s’il fut heureux durant toutes ces années. Parmi les trois ou quatre enfants d’Élisabeth Bégon, un seul fils, parti très jeune pour la France, survivra à ses parents, sans compter la petite-fille, Marie-Catherine.

Les mariages d’amour semblent être exceptionnels à cette époque. Les parents dont les enfants se sont mariés par amour, à leur insu, implorent les autorités de faire casser ces unions. Ainsi, lorsque les deux filles du seigneur François Marie Picoté de Belestre, Marie-Anne et Mariette, épousent des capitaines de l’armée anglaise quelques années après la Conquête, les parents tentent de faire annuler les mariages. En l’absence de son mari, la belle-mère de Marie-Anne, seconde épouse du seigneur Picoté de Belestre, intente une poursuite en reddition de compte à sa belle-fille et son époux, John Warton. Elle refuse de reconnaître le mariage puisqu’il n’y a eu ni contrat de mariage, ni acte de célébration selon les rites catholiques, no consentement du père. L’affaire aboutit devant la Cour des milices et le gouverneur Gage déboute la poursuite, affirmant que l’annulation du mariage serait préjudiciable à l’honneur des époux Warton et de leurs futurs enfants. Il paraît que les deux sœurs s’étaient tout simplement mariées devant l’aumônier du régiment de leurs maris.

Enfin, chez les gens du peuple, tout laisse croire que les dots sont rares : une fille espère amasser le linge de maison qui formera son trousseau. Souvent, les parents promettent, dans le contrat de mariage, une avance d’hoirie ou d’héritage qui sera peut-être payée s’ils ont les moyens. Même dans les familles aisées, les dots promises ne sont souvent pas versées, faute de ressources. Le 21 décembre 1748, le baron de Longueuil confie à Élisabeth Bégon qu’il s’inquiète des amours de son fils avec la jeune mademoiselle de Muy, car il craint que la famille de celle-ci n’encourage le couple de marier trop tôt pour son état financier.

Voir aussi :

Parc portuaire de Trois-Rivières mariage en Nouvelle-France
Quai du parc portuaire de Trois-Rivières. Photo – Histoire-du-Quebec.ca.

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