Vox Populi : Une lettre de M. le juge Desaulniers
J’ai vu se dérouler sur l’écran, il y a quelques semaines, au cours dune représentation privée « La passion de Jeanne d’Arc ». C’est la résurrection historique de la mort de Jeanne, sur les souffrances et les résistances de la sainte devant ses juges et sur le bûcher.
Je rediral, après un grand nombre de connaisseurs, que c’est l’un des plus beaux, sinon le plus beau film qu’il m’ait été donné de voir. La critique française, anglaise, allemande, danoise, espagnole, américaine est unanime sur ce point. Le National Board of Review of Motion Pictures de New-York n’hésite pas à dire qu’il à une valeur exceptionnelle.
À Londres, où l’on pouvait craindre que les Anglais y vissent une blessure à la sensibilité nationale, fes foules l’ont applaudi. Il y a belle lurette que l’opinion anglaise, du reste, a incriminé l’acte du duo de Bedford.
À Paris, Claude Jeantet écrivait “Dreyer a simplement choisi le meilleur filon de cette mine inépuisable qu’est l’histoire pour le cinéma, comme il est pour les autres arts et pour la littérature. Il a pris le sujet psychologique, « le plus délicat à traiter peut-être, mais le plus émouvant. Au lieu de chercher dans la carrière merveilleuse de Jeanne les fresques magnifiques et l’épopée qu’il pouvait donner à l’écran, comme vient de le faire en peintre plus qu’en cinéaste. M. Marco de Gastyne, Dreyer æ voulu traiter seulement la pastion de Jeanne d’Arc ».
Ou me dira peut-être que se ne sont là que des appréciations laïques. Attendez un peu. Son Emminence le Cardinal Luçon, Archevéque de Reims, loua hautement l’idée qu’on a eue de filmer la merveilleuse épopée de Jeanne et il ajoute dans une lettre dont j’ai le facsimilés devant moi: “Ce film rappellera opportunément aux peuples les enseignements las plus reconfortents. Il leur montrera, par exemple de la sainte Libératrice envoyée par le Ciel à la France au XVe siècle, qu’il y a une Providence qui veille aux destinées des nations, et qu’il n’y a point de détresse et désespérée dont Dieu ne puisse sauver un peuple.
Quand son heure est venue, il fait avec les plos faibles instruments accomplir les plus grandes choses.
Eh bien! Quand ce fim fut soumis à l’examen de metre bureau de censure, il fut renvoyé à son propriétaire avec ces mots plus tranchants qu’en cooperet. “Not fit for this Prorince”. C’est comme si les censeurs arrêtaient que nos gens ne sont qu’un ramassis d’ignorants et d’imbéciles et que ce film échappe à leur compréhension et à leur sens de l’histoire.
Je n’exagère rien et je repousse par avance l’excuse que l’on me manquera de donner que l’évêque Cauchon et ses acolytes de l’Université de Paris, étant des prêtres, il ne convenait pas de mettre quelques religieux du 15ième siècle en mauvaise posture devant notre population catholique, comme si cette dernière était incapable de faire le part entre les erreurs, fruits des passions humaines, et 1a vérité des doctrines. Il y a longtemps du reste que les « bourreaux sauvages » de Jeanne, pour reprendre la forte expression de Monsseigneur Touchet, dans l’égiise Notre-Dame de Montréal, au cours des inoubliables cérémonies du congrès Eucharistique, ont été flétris par l’Église elle-même, qui aprés avoir revisé le honteux et infâme proès il y a cinc cents ans a placé la bonne Lorraine sur ses autels.
Il faut savoir dire les choses, sans parti pris, en toute loyauté, et montrer la réddition des esprits magnifiques contre une âme simple, la justice contre Dieu, la loi contre la foi, trois centa hommes prêtres contre une sainte.
Il fallait, n’est-ce pas, que ces chasse fussent dites par quelqu’un de nous afin qu’il ne fût pas donné à Monsieur Morgan-Powell du « Star » d’être le seul protester contre une interdiction que le bon sens réprouve.
Agrées, monsieur le rédacteur, l’assurance de ma considération distinguée.
Gonsaive DEBSAULNIERS
(Texte, publié dans le Journal Le Petit Journal, le 11 mai 1930).
Voir aussi :
