La Loi Dillon

La Loi Dillon – 1931 – 1932 :

Contestations en masse – C. E. Gault, chef parlementaire de l’opposition – C. J. Arcand, ministre du Travail – Répercussions de la crise sur les finances provinciales – Discours d’Athanase David contre la canalisation du Saint-Laurent – La loi Dillon, avec effet rétroactif.

La loi Dillon : Dans la politique provinciale, les libéraux voulaient compléter leur victoire en enlevant à Houde sa mairie, aux prochaines élections municipales. Houde disparu, les libéraux régneraient sans partage et sans crainte. Le Canada et les petits journaux d’Arcand, tournés contre le « houdisme », harcelèrent Houde et Bray d’accusations quotidiennes. Des citoyens demandèrent une enquête sur la police qui tolère les tripots et les maisons louches. Pourquoi, leur demande Houde, cette enquête porterait-elle sur la police de Montréal et non sur la police à Montréal? Une enquête sur la police à Montréal eût englobé la police provinciale dont la mission, d’après Houde, consistait à truquer les élections montréalaises.

Accusé d’avoir volé des appareils de jeu à la ville de Montréal, Allan Bray abandonna la présidence du Comité exécutif, et même son mandat d’échevin. Le magistrat Victor Cusson l’acquitta « sans hésitation » et qualifia de roman la dénonciation portée contre l’ex-président du Comité exécutif. Mais la presse libérale donna beaucoup moins d’importance à l’acquittement qu’aux accusations. Un autre échevin houdiste, Tancrède Fortin, remplaça Bray à la présidence de l’Exécutif.

Les houdistes se défendent. Thomas Maher imagine une manœuvre sans précédent : la contestation en masse des 79 élections libérales, en invoquant le truquage des listes, les votes frauduleux, la connivence des sous-officiers rapporteurs (à vrai dire, il existait un précédent remontant à 1841, date à laquelle Louis Hippolyte Lafontaine contesta 17 des 19 sièges, en alléguant l’intervention de lord Sydenham et les procédés d’intimidation employés). Houde saute sur l’idée. Houde est un homme extraordinaire. L’adversité ne réussit pas à l’abattre. D’abord, ce rude cogneur sait bien qu’on ne peut toujours assener des coups sans jamais en encaisser. C’est quand les choses vont mal qu’il se sent le mieux en forme. Il fait front; il s’arc-boute. Donc, Houde saute sur l’idée des contestations en masse. Mais les conservateurs élus risquent des représailles. À la première réunion, tenue dans le bureau de Houde, Maurice Duplessis et Jean-Paul Sauvé, élus par de faibles majorités, critiquent le projet. Arthur Sauvé adopte la même attitude, par solidarité pour son fils, et présente une objection : « Il faut faire un dépôt de mille dollars par contestation. Où prendrons-nous les $79,000? » Houde ouvre son tiroir : « Les voilà, vous pouvez compter. » Un ami personnel de Thomas Maher, le courtier montréalais Ward C. Pitfield, qui est aussi beau-frère de John Price, grand ami de Bennett et fidèle souscripteur de la caisse conservatrice, a fourni cette somme.

Un seul des conservateurs élus, Pierre Bertrand, de Saint-Sauveur, entra dans le mouvement. Echevin, député, membre de la Commission du port de Québec, Pierre Bertrand tenait, par le « patronage », une foule d’obligés. Les députés fédéraux Armand Lavergne, Henri LaRue, Émile Fortin, Léo Duguay et Onésime Gagnon, le député provincial Pierre Bertrand et les candidats malheureux du district de Québec se prononcèrent pour la contestation en masse. Les candidats malheureux du district de Montréal, réunis sous la présidence de Camillien Houde, adoptèrent la résolution présentée par Abel Marion, candidat dans Compton, et appuyée par l’ancien député Joseph Renaud.

Maurice Duplessis blâma ouvertement cette tactique, et dégagea sa responsabilité, en adoptant l’arguement tout de suite invoqué par les libéraux : cette insulte à l’honnêteté des électeurs – présumés tricherus ou vendus – nuit à la réputation de la province. Les libéraux vantèrent et exploitèrent l’attitude de Duplessis. Le chef de l’opposition – Camillien Houde – en voulut, assez naturellement, au partisan qui lui infigeait un si grave démenti. D’ailleurs, Houde espérait retrouver un siège, et préférait céder la direction provisoire des forces parlementaires à un homme un peu terne, plutôt qu’à Duplessis qui pourrait bien s’y incruster. À la réunion des onze députés conservateurs, Hortensius Bégique et Pierre Bertrand firent choisir C.-E. Gault, de préférence à Maurice Duplessis, comme chef parlementaire pour la prochaine session.

La menace ennuyait tous les libéraux. Elle inquiétait quelques-uns d’entre eux, comme Amédée Caron, qui n’avait remporté, aux Îles de la Madeleine, que huit voix de majorité. Le parti libéral chargea le bâtonnier Saint-Laurent de procéder à des représailles. Saint-Laurent venait d’être réélu bâtonnier général, au congrès du Barreau canadien tenu à La Malbaie. Il y avait produit quelque sensation, moins en risquant un blâme contre la mesure « dictatoriale » de Bennett (dépenses de revenus fédéraux sans vote parlementaire) qu’en préconisant la suppression des appels au Conseil Privé dans les procès entre particuliers n’impliquant aucune interprétation de droit constitutionnel.)

En définitive, les conservateurs contestèrent soixante-trois élections. L’uniformité des procédures acheva d’indigner les libéraux. Toutes les contestations, rédigées sur le même modèle, accusaient tous les députés libéraux de toutes les infractions énumérées dans la loi : achat de votes, distribution d’alcool, maquillage de bulletins, usage d’urnes à double fond, recours à la force pour éloigner des électeurs, etc., etc. Quitte, s’écriaient les libéraux, quitte à prouver une seule de ces accusations pour obtenir l’invalidation. Le geste de Houde était sans précédent. Les libéraux alarmés ou exaspérés préparèrent une autre riposte…

En 1932, comme l’année précédente, Taschereau faisait convoquer une session d’automne – le 3 novembre – pour voter les crédits nécessaires à la lutte contre le chômage. Sur la requête des syndicats internationaux, C.-J. Arcand, vainqueur de William Tremblay dans Maisonneuve, devint ministre du Travail. M. Arcand comptait trente-cinq années de service au Pacifique Canadien, et présidait la loge 506 des employés de chemins de fer du Canada. Pour équilibrer cette nomination d’un « international, Gérard Tremblay, secrétaire des syndicats nationaux et catholiques, devin sous-ministre. Enfin l’octogénaire George Bryson, doyen du Conseil législatif – où Mercier l’avait nommé en 1887 – représenterait, sans portefeuille, l’élément anglais au sein du cabinet provincial. Ce marchand de bois sympathique paralais comme R.-O, Sweezey, un français savoureux, appris avec les « hommes de chantiers. »

Et la première session de la dix-huitième législature s’ouvre le 3 novembre. Damien Bouchard préside la Chambre et Jacob Nicol, le Conseil législatif. C. – E. Gault, chef parlementaire de l’opposition, ne rappelle en rien le « petit gars de Sainte-Marie ». C’est un petit homme effacé, très poli, à chapeau melon et cravate papillon, ne parlant pas le français. Son anglais même est peu intelligible et sa voix sans portée. Au demeurant, fort honnête homme. La Chambre s’est habituée à lui, et même l’a pris en affection, depuis vingt-quatre ans qu’il prononce, debout entre deux pupitres, sans un geste, des discours que presque personne n’entend. On lui passe sa marotte : l’admiration systématique de l’Ontario. Mais on ne le croit pas taillé pour conduire l’opposition. Pauvre opposition. Son autre membre de langue anglaise, le général Smart, très sûr de son comté, aussi indépendant de Houde que jadis de Sauvé, blâme vertement les contestations en masse, et refuse de suivre son ami Gault, tant que celui-ci reconnaîtra le leadership du maire de Montréal.

Les revenus de la province flécissaient à leur tour. L’Ontario, le Manitoba, la Saskatchewan et la Colombie britannique avaient contracté des emprunts auprs du Trésor fédéral pour faire face à leurs obligations. Ces provinces perdraient de l’indépendance, et par conséquent de la force, pour résister aux empiétements fédéraux. La province de Québec ne les avait pas imitées, mais elle comptait quelques dettes en souffrance…

(Robert Rumilly. Histoire de la province de Québec, tome XXXIII La plaie du chômage. Éditions Fides, Ottawa. 1961).

Voir aussi :

Collège Université de Toronto
Collège de l’Université de Toronto. Photographie de Histoire-du-Québec.ca.

Laisser un commentaire

Exit mobile version