Je reviendrai à Montréal : La grande ville ou ma région?
La grande ville ou ma région : À la sortie du secondaire, bien des jeunes doivent choisir : rester en région ou « monter » vers Québec, voire Montréal, afin de poursuivre leurs études. Au risque d’y rester.
En août dernier, François Paradis a quitté Hébertville, un village du sud du Lac-Saint-Jean pour partir étudier en foresterie à l’Université Laval de Québec, Le jeune homme de 20 ans n’avait d’autre choix que de s’exiler : l’Université du Québec à Chicoutimi n’offrait pas de programme d’aménagement forestier. Mais ça n’aurait pas changé grand-chose : « Même si j’avais eu le choix, j’aurais quand même préféré poursuive mes études à Québec, car j’avais envie de découvrir la réalité urbaine », dit François Paradis.
L’attrait de la ville : chaque année, des milliers de jeunes des quatre coins du Québec plient bagage pour étudier en ville, que ce soit à Montréal, Québec ou Sherbrooke. Un grand nombre finit pour y rester pour de bon, séduits par les possibilités d’emploi et l’effervescence de la vie culturelle et intellectuelle.
Un exode des cerveaux pour les institutions qui se démènent afin de retenir les jeunes. Elles offrent maintenant des programmes exclusifs – tels ce baccalauréat en plein air et tourisme d’aventure à l’UQAC -, créent des instituts de recherche, distribuent des bourses d’études et mènent des campagnes de promotion dans les cégeps.
Autant de mesures indispensables, mais qui ne semblent cependant pas suffisantes pour enrayer, en région, un exode aussi vieux que le siècle XX. D’ailleurs, avec la nouvelle politique de financement des universités, d’aucuns craignent même une véritable débâcle dans le fameux réseau des universités du Québec qui a permis de maintenir des pôles intellectuellement prometteurs dans des régions plus éloignées depuis près de 30 ans.
C’est que désormais le financement des universités sera directement proportionnel au nombre de jeunes qu’elles attirent. Pour des établissements comme McGill ou l’Université de Montréal, qui intéressent de plus en plus de jeunes, ce n’est pas un problème. À Chicoutimi et à Rimouski, les experts prévoient que les universités vont perdre environ de 13% à 14% de leurs étudiants, et donc une proportion équivalente de leur budget sans qu’il faille pour autant réduire les infrastructures (bibliothèques, laboratoires, personnel, etc.)
Même l’Université Laval, à Québec, redoute une perte de près de 8% de ses effectifs d’ici quelques années. Masqué par les investissements de 600 millions de dollars sur 3 ans dont bénéficient actuellement les universités, le choc démographique va frapper d’autant plus durement les régions que leurs jeunes décideront d’aller étudier ailleurs.
Voilà pourquoi elles s’activent plus que jamais pour retenir cette élite dont elles ont grandement besoin, et souvent avec le soutien des acteurs économiques de leur région. Au Saguenay-Lac-Saint-Jean, par exemple, le Centre de technologie de Jonquière, un organisme à but non lucratif spécialisé dans le recrutement de personnel en sciences et en nouvelles technologies, tente précisément de retracer des jeunes exilés pour leur faire voir les possibilités qui existent dans leur région. « L’an dernier, près de 30% des finissants des cégeps du Saguenay-Lac-Saint-Jean ont choisi d’aller étudier à Québec et à Montréal, plutôt qu’à Chicoutimi, dit Lucien Girard, directeur général du Centre. C’est généralement l’élite qui s’exile dans les grands centres urbains. »
Selon lui, la migration des cerveaux vers la ville est particulièrement marquée dans le domaine des sciences, car plusieurs programmes de pointe tels la médecine, l’agronomie et le génie chimique ne sont pas offerts par l’UQAC. « Plusieurs postes bien rémunérés en génie et en multimédia ne sont pas comblés par ici, explique-t-il, faute d’avoir trouvé des candidats qualifiés. Et malheureusement, les citadins qui s’aventurent ici s’adaptent mal à la vie en région, trop tranquille à leur goût. Nous arrivons difficilement à les retenir plus de deux ans. »
Dans les endroits plus éloignés, les conséquences de l’exode des jeunes se font encore plus cruellement sentir. Les démographes de l’Institut de la statistique du Québec prévoient que dès la prochaine décennie, l’Abitibi-Témiscamingue, la Côte-Nord, la Gaspésie, les Îles-de-la-Madeleine et le Bas-Saint-Laurent connaîtront une baisse importante de jeunes pouvant aller jusqu’à 40%.
« Pourtant, le coût de la vie est généralement moins élevé en région, rappelle Denis Claveau, agent d’information de l’UQAC. Les étudiants peuvent facilement résider à proximité du campus, allégeant ainsi le budget et le temps consacrés au transport. À cause de la dimension réduite des groupes, les professeurs prodiguent un enseignement plus personnalisé, ce qu’apprécient généralement les cégepiens habitués à fréquenter un établissement de petite dimension. » Le directeur des services aux étudiants, Renaud Thériault, ajoute que « les passionnés de sciences naturelles se trouvent à quelques minutes de marche de leur sujet d’études ». Un argument de vente repris par ses collègues de Rimouski, qui soulignent l’attrait de l’estuaire du Saint-Laurent pour les étudiants en biologie marine et en océanographie, et par ceux de l’Abitibi-Témiscamingue qui vantent la proximité des étendues boisées pour les étudiants intéressés par l’aménagement forestier.
Et quant une université parvient à garder un jeune, c’est toute la région qui en profite : « Plus de 70% des jeunes qui étudient à l’UQAC travaillant par la suite dans la région », rappelle Renaud Thériault. Lucien Girard, du Centre de technologie de Jonquière, abonde dans son sens : « Les jeunes natifs d’une région périphérique, que ce soit le Saguenay, la Côte-Nord ou la Beauce, ont peu de problèmes d’adaptation lorsqu’ils viennent travailler chez nous parce qu’ils connaissent la réalité des petites villes, dit-il. Pour recruter des ingénieurs ou des chimistes, j’identifie le collège ou l’université offrant une formation dans le domaine et j’entre en communication avec les étudiants correspondant au profil recherché. Je leur soumets l’offre d’emploi et le tour est joué! »
(Texte publié dans la revue Québec Science, décembre 2000 – janvier 2001).