Une justice paralysée en Nouvelle-France en octobre 1705
Justice paralysée : Jusqu’au 4 octobre de l’année 1705, l’administration de la justice suivait son cours en Nouvelle-France, mais, au matin du 5 octobre, rien ne va plus : on a bel et bien un condamné mais que faire de lui?
Le Montréalais Pierre Berger dit Latulipe est gardé dans la prison de Québec parce qu’il attend la décision du tribunal d’appel. Le 14 juillet précédent, en première instance, on l’a reconnu coupable d’avoir violé Suzanne Capel, âgée de onze ans et trois mois.
Le 5 octobre, Berger apprend que sa cause est perdue et on ordonne que la sentence prévue dans le premier jugement « sera exécutée selon sa forme et teneur » : « Il est condamné de faire amende honorable, nu en chemise, la corde au col, tenant en sa main une torche de cire ardente ». Il sera amené devant la porte de l’église et là, il devra, « nu-tête et à genoux, déclarer qu’il a méchamment commis et fait effort pour ledit viol dont il se repend et en demandé à Dieu pardon ».
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Une fois cette étape complétée, on le « ensuite conduira en la place de la basse ville. Pour l’y pendre et étranglé jusqu’à ce que mort s’ensuive. On l’attachera à une potence que l’on dressera à cet effet. Son corps y restera pendant deux heures ». Selon la coutume, on saisira tous ses biens seront. On les vendra. On réservera la somme de trois cents livres pour la remettre à la victime. Suzanne Capel.
Mais dans cette cause, surprise, stop, on arrête tout quand on écrit à la fin du texte de la sentence : « La Justice l’a arrêté (décidé) par retentum que ledit arrêt ne se prononcera pas. Ni exécuté jusqu’à ce qu’autrement en ait été ordonné ». Un retentum est une note ou un avis, qu’on écrit après le texte d’un jugement. On y indique une réserve que le tribunal fait au sujet de ce jugement.
Les raisons de la paralysie de la justice se présentent dans le jugement du 23 novembre 1705. En premier lieu, on est en novembre, l’hiver s’installera bientôt et « la saison ne permettant pas que de près de (pas avant) six mois on puisse transférer ledit condamné audit lieu de Montréal. », l’exécution devra donc se faire à Québec. Deuxièmement, comment exécuter un condamné quand on n’a plus de bourreau? C’est une période durant laquelle personne ne veut occuper cette fonction. Troisième problème : l’exécution du prisonnier doit absolument se faire d’ici peu, car « il y a tout de croire qu’il ne pourra résister dans les cachots aux rigueurs de l’hiver sans mourir ».
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En ces circonstances, selon la coutume, on demande à un prisonnier, Jacques Élie, lui aussi condamné à mort, par un tribunal en Acadie, de devenir bourreau et, en contrepartie, on va annuler sa sentence. Élie ayant accepté, on ordonne donc que « ladite exécution soit faite en la place du marché de cette ville de Québec. Jeudi prochain à deux heures ».
Le sort de Pierre Berger se règle finalement. « Le jeudi vingt-sixième jour de novembre mil sept cent cinq sur les dix heures du matin », on se rend voir le prisonnier. On le place « hors les guichets (les portes) de sa prison. Étant nu-tête et à genoux ». Pour lui apprendre que son avenir est désormais derrière lui. On précise dans le procès-verbal du tribunal que cette exécution se fait à l’heure et à l’endroit prévus.
Suzanne Capel est la fille aînée de Jean Capel dit Desjardins et de Madeleine Aubry; décédé vers 1700, son père était un soldat de la compagnie de Vaudreuil. Née en 1694 à Montréal, Suzanne épousera Pierre Lecomte en 1708.