Il est interdit de vendre les cigarettes sans taxe provinciale

Échec judiciaire de la Liberty Tobacco Shops Ltd

L’honorable juge Savard lui refuse l’injonction demandée pour empêcher la police provinciale de faire observer la loi de la taxe de vente sur le tabac.

« Le pouvoir de la Couronne de promulguer des lois comporent le droit et le pouvoir de voir à ce que les infractions soient surveillées, à ce que l’identité des délinquants soit obtenue », et, par conséquent, les officiers de justice agissent dans la limite de leurs attributions et légalement en avertissant le public qu’il est illégal d’acheter du tabac sans payer la taxe.

C’est ainsi que s’exprimait l’honorable juge Alfred Savard, de la Cour supérieure, hier après-midi, en rejetant avec dépens la requête pour injonction présentée par la Liberty Tobacco Shops Limited, de Toronto, dans une tentative d’empêcher un groupe d’officiers de la Police provinciale de Québec et du Bureau du revenu provincial de Québec de faire le guet dans l’établissement de cette compagnie au numéro 381, ouest, de la Rue Ste-Catherine à Montréal.

On connaît les détails de cette affaire, où semble-t-il, un certain groupe de personnes avaient décidé de propos délibéré d’éluder, d’attaquer et de mettre à néant la nouvelle loi de la taxe de vente de 10.c. Sur le tabac dans la province de Québec. En effet, comme le rapporte le jugement d’hier en soulignant la preuve faite à l’enquête en cette cause, « alors que cette loi était à l’étude, l’Imperial Tobacco Company avait eu l’occasion de faire certaines représentations au trésorier provincial. Elle avait déclaré au trésorier provincial qu’elle n’entendait pas s’y soumettre, qu’elle ouvrirait un magasin où elle viendrait le tabac et les produits du tabac sans percevoir la taxe imposée et sans se conformer aux autres exigences de la loi. »

« Toujours est-il que le 29 juin, 1940, la Liberty Tobacco Shops, Limited, ayant son siège social à Toronto et incorporée par Me Harold Mayne Daly, avocat, Me Redmond Holt, avocat, et Helen McKim, sténographe, tous trois d’Ottawa, est venue ouvrir un débit de tabac à Montréal rue Ste-Catherine, où on se mit en frais de violer la nouvelle loi du tabac. En effet, de dire le jugement, « sur la façade du magasin, il y avait une grande enseigne : « Liberty Tobacco Shops, Limited. » Sur les quatre grandes vitres formant la façade, il avait été apposé quatre grandes affiches sur lesquelles il avait été inscrit « Buy pour smokes here. No provincial tobacco tax collected, (signé) Liberty Tobacco Shops, Limited ». Dans chacune dos deux vitrines, il avait été apposé deux grandes pancartes sur lesquelles était écrit: « We will not collect provincial tobacco tax ». Sur ces pancartes, il y avait aussi une liste des différentes marques de cigarettes avec une échelle de prix démontrant le coût du tabac sans la taxe provinciale et le coût du tabac avec la taxe provinciale. Sur les vitrines, à l’intérieur du magasin, il avait été affiché l’avis suivant: « Any customer of this store who may be summoned for failing to pay provincial tobacco tax is requested to communicate with us at once. Liberty Tobacco Shops Limited. »

Dans ces circonstances, l’on comprend qu’une foule de personnes en aient profité avec le résultat que ce débit de tabac fit des affaires d’or. L’on comprend aussi facilement que les autorités du bureau du revenu provincial aient immédiatement décidé de prendre les mesures nécessaires pour faire observer la loi qu’on violait ainsi délibérément et ouvertement. C’est alors qu’on dépêcha sur les lieux un groupe d’officiers de la police provinciale et du bureau du revenu provincial, lesquels, par groupe de quatre, se tiennent continuellement dans le magasin. Ces officiers de justice, agissant selon leurs instruction et selon la loi, avertissaient les clients des dispositions de la loi, demandant la collaboration du public pour son observance. Une foule de clients, après avoir été avertis par la police, remirent leurs achats et exigèrent le remboursement de leur argent. D’autres préféraient garder la marchandise achetée sans payer la taxe et à ceux là, les policiers demandaient de s’identifier. Si on persistait et refusait de répondre, les policiers laissaient partir ces clients après leur avoir fait remarquer qu’ils s’exposaient aux pénalités prévues par la loi.

Il n’y eut aucune arrestation mais le résultat de la présence de la police fut que les ventes de ce magasin, qui, au début, faisait des affaires d’or, diminuèrent considérablement. C’est alors que la compagnie décida de prendre des procédures judiciaires. Elle procéda par voie de requête en injonction aux fins de demander à la Cour d’ordonner à ces policiers de cesser d’intervenir ainsi dans l’exploitation du débit de tabac, intervention qui lui causait un tort considérable.

Dans sa requête en injonction, la compagnie alléguait que les officiers do police importunaient illégalement les clients, les ennuyaient, les menaçaient et les intimidaient, sans cause ni raison, etc.

À cette requête et à ses allégations, les officiers de justice, représentés par Me Dan Gillmor, C.R., plaidèrent, premièrement, qu’en parlant des ennuis causés aux clients, la requérante plaidait le droit d’autrui, ce qui est défendu. Par ailleurs, disaient-ils, comme officiers de justice, ils sont des officiers publics tombant sous le coup de l’article B7a du Code de procédure civile, et conséquemment, aucune injonction ne peut être accordé© contre eux. Troisièmement, l’on plaidait que les officiers n’avaient fait que leur devoir en agissant comme ils ont agi.

Il y eut enquête devant l’honorable juge Alfred Savard, de la Cour supérieure, qui, après avoir délibéré, a rendu hier son jugement en maintenant les arguments des officiers de justice et en rejetant avec dépens la requête en injonction.

Dans son arrêt, le jugement considère que la compagnie devait obéir à la loi tant qu’elle existera ou n’aura pas été déclarée inconstitutionnelle : En attendant, elle a mauvaise grâce, tout en brisant ouvertement cette loi, de se plaindre de ceux qui sont charges de la faire observer: « La requérante, de dire lo juge, opère sans avoir obtenu la licence prévue par le statut. Elle refuse do percevoir la taxe, elle invite ouvertement le public h violer la loi; elle la viole elle-même sans scrupule et, avec cette attitude qu’elle prend, elle n mauvaise grâce de se plaindre que les autorités prennent les mesures nécessaires pour faire respecter la loi. Cette attitude de la requérante cause un préjudice considérable aux autres marchands – détaillants qui observent la loi. C’est en même temps un très mauvais exemple et qui peut avoir des conséquences très graves, si cet exemple allait être suivi par les autres marchands do tabac. Aussi longtemps que cette loi sera dans le statut, elle doit être respectée.

C’est lo privilège de la requérante d’en attaquer la constitutionnalité mais elle n’a pas le droit do la violer, et c’était le droit et le devoir des autorités do procéder comme elles l’ont fait, et même de s’enquérir du nom et de l’adresse des clients que la requérante invitait à violer la loi. Même si les officiers du revenu et les officiers de la Sûreté provinciale avaient outrepassé leurs attributions, ils no l’ont fait que sur les ordres et sur les instructions de leurs supérieurs et, dans ces circonstances, l’article 87a du C.P.C. défend l’injonction.

Comme officiers du Revenu et comme officiers de la police provinciale, les intimés avaient le droit de s’introduire dans le magasin puisqu’ils pouvaient, comme dit la loi, y trouver des personnes qui pourraient « raisonnablement être soupçonnées de s’y trouver pour des motifs illégaux ». Les affiches invitaient le public a entrer dans le magasin pour y violer la loi et les intimes, comme officiers de police, avaient certes le droit d’y entrer également pour empêcher la violation de la loi ou appréhender les coupables.

Le Tribunal conclut donc en rejetant la demande d’injonction avec dépens. Los officiers poursuivis étaient G.- Emile Lapointe, W. Roland Allan. Clovis Cantin, Louis Ouellet, Edmond Ernst, Médard Fortin, Hector Noël, Paul Bélanger, Michael Smolla, Jean Bouvier et Arthur Legault.

(C’est arrivé le 24 août 1940).

Voir aussi :

L'honorable juge Savard lui refuse l'injonction demandée pour empêcher la police provinciale de faire observer la loi de la taxe de vente sur le tabac
Boites à cigares. Image libre de droits.

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