L’influence française en Amérique
Au cours de leurs explorations, les Français, tels Albanel, Saint-Simon, Jolliet, Marquette, Saint-Lusson, Cavelier de La Salle, ont arpenté l’Amérique du Nord, depuis la baie d’Hudson jusqu’au golfe du Mexique; ils ont révélé à la France un empire. Le projet était grandiose, voire logique : l’Acadie, les rives du Saint-Laurent, les Grands Lacs, le Mississippi, La Louisiane. La stratégie et le commerce poussaient à construire l’Amérique française sur cet axe.
Le ministre Colbert avait sans doute raison lorsqu’il affirmait que la tâche la plus urgente était de se fortifier au Canada. Quelques milliers de Français ne pouvaient pas se permettre de s’éparpiller sur un trop vaste territoire. Intrépides et ambitieux, les Français d’Amérique ne tiendront pas compte des sages conseils du ministre. Malgré leur petit nombre, ils se lanceront à la conquête de ce continent, voulant à tout prix élargir leurs possessions et leurs territoires de chasse.
En Nouvelle-France, trop de jeunes hommes sont attirés par l’aventure et s’adonnent au commerce des fourrures. Au lieu de défricher plus de terres et de fonder des foyers, ces « voyageurs » (chasseurs et trappeurs au service d’un marchand ou d’une compagnie) et ces « coureurs des bois » (chasseurs et trappeurs à leur propre compte) iront toujours de plus en plus loin, vivant à l’indienne et créant avec des Sauvagesses une multitude de Métis appelés les « Bois Brûlés ». Ces Métis, la plupart francophones et baptisés par les missionnaries, symboliseront à leur manière une présence française à travers l’Amérique. Enfin, assoiffés du salut des âmes, les missionnaires suivront eux aussi les traces des explorateurs, après 1763. D’une mission à une autre, ou faisant suivre leurs chapelles portatives, ils n’hésiteront jamais à parcourir des distances démesurées au milieu de mille dangers. Par leur présence chez les indigènes, ces missionnaires favoriseront la pénétration de la civilisation française.
En fait, de par leur nature, les Français possédaient tous les critères pour s’attirer l’amitié des indigènes. Ils étaient d’abord respectés pour leur courage, leur détermination, leur droiture et leur parole donnée. Hâbleurs et plaisantins, ils répandaient autour d’eux la gaieté et la bonne humeur. Souvenons-nous de l’Ordre de bon temps instauré par Champlain à Port-Royal et de la réponse du chef Capitanal lorsque Champlain lui proposa d’unir les jeunes Français aux filles de sa tribu : « Tu nous dis toujours quelque chose de gaillard pour nous réjouir, si cela arrivait, nous serions heureux. » L’esprit gaulois était à l’honneur durant les veillées qui se déroulaient dans les lointaines bourgades indigènes. Assis autour d’un feu, les Indiens appréciaient la présence de ces Blancs aimant faire ripaille ou débutant leurs paillardises en riant à gorge déployée. Le tout se terminait par des chansons, car nos aïeux aimaient chanter. Enfin, des jeunes Français aimaient conter flerette aux Indiennes des villages et pas seulement pour en faire leurs maîtresses. De nombreuses idylles prirent naissance et se terminèrent par un vrai mariage béni par un missionnaire de passage ou dans la chapelle d’une mission. Les fruits de ces unions étaient baptisés et, plus tard, éduqués à la française et chrétiennement. Évidemment, il va sans dire qu’il y avait également de nombreuses unions libres et beaucoup d’enfants illégitimes.
Les Français, habiles diplomates, avaient tous les Indiens de leur côté, sauf les Iroquois. En dépit de quelques excès ou de mauvaises actions parfois commises par des aventuriers sans scrupule, partout ils furent accueillis en amis ou en frères et adoptés. C’est bien connu, les Anglo-Saxons et les Espagnols ne purent jamais rivaliser avec les Français dans ce domaine.
Fait unique dans toute l’histoire de la colonisation européenne « aux Amériques », les Français furent les seuls à considérer les indigèns baptisés, alliés et métis, comme des sujets du roi jouissant des mêmes droits et des mêmes privilèges. Quant aux coureurs des bois isolés pendant de longs mois au milieu de ces immensités, à force de vivre dans les bourgades indigènes, bon nombre d’entre eux s’intégrèrent parfaitement aux Sauvages, apprenant leurs langues et devenant leurs semblables. Ces Blancs jouèrent le rôle de pionniers de l’influence française et, côtoyant dès leur adolescence de nombreux Indiens de diverses tribus, furent un trait d’union constant avec eux.
Après quelques générations, nous verrons apparaître une nations franco-indigène. Chose évidente, par rapport à la civilisation de l’époque, des Blancs nés sur ce continent sont retournés vers une certaine forme de primitivisme, mais ce sont des surhommes : ils peuvent parcourir des distances incroyables à pied ou en canot sans jamais être fatigués. Ils nagent comme des poissons, ce qui est pratiquement inconnu à cette époque par les Européens.
Ces explorateurs se sentent chez eux dans ces immenses forêts et connaissent les plantes qui guérissent. Ils savent construire un wigwam, descendre des rapides dans des canots d’écorce, marcher dans la neige avec des raquettes, manier un tomahawk et employer toutes les ruses, le cas échéant, lors d’une attaque de leurs ennemis. Tous connaissent un ou plusieurs dialectes indiens et, dans quelques bourgades, certains d’entre eux ont de la parenté : ce sont les Métis.
Aux quatre coins de l’Amérique, partout où flottera le fleurdelisé, il deviendra banal de rencontкer des indigènes francophones à la peau plus claire et portant des noms bien français. Le temps viendra où même la profession d’interprète n’aura plus cours : la francophonie couvrira les trois quarts de l’Amérique du Nord. De nombreux Indiens s’exprimeront dans un français très correct et, à la longue, on ne pourra pas toujours être sûr au premier abord si quelques individus, rencontrés très loin des rives du Saint-Laurent, sont des Blancs très indianisés ou des autochtones « afrançaisés ».
(Source : Si l’Amérique française m’était contée, par Jean-Marie Montbarbut Du Plessis, Montréal, L’Hexagone, 1990).
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