Montréal : aventure industrielle du XXe siècle
Montréal, c’est aussi l’aventure industrielle qui a donné naissance à des quartiers, nourri une culture ouvrière, jeté les bases d’œuvres sociales et favorisé le développement d’importants mouvements de travailleurs. Au milieu du XIXe siècle, le berceau de l’industrialisation du pays se situe dans le secteur du canal de Lachine. Bientôt, l’industrie essaime partout où se trouvent les espaces nécessaires à l’établissement d’installations souvent gigantesques. De sa spécialisation dans l’industrie légère de la chaussure et du textile, Montréal passe peu à peu à l’industrie plus lourde de la métallurgie et du matériel roulant. Avant le premier conflit mondial, c’est 80 000 employés qui ont pour tâche de faire rouler les industries de Montréal. Au XXe siècle, après chacun des deux conflits mondiaux, l’industrie manufacturière montréalaise doit s’ajuster à l’économie de paix. Après 1945, la reprise de la consommation et de la construction refrénées pendant la crise et la guerre donnera un nouvel essor à l’industrie montréalaise et assurera cette lancée qui se poursuivra pendant presque toutes les années 1950.
Montréal « ville au cent clochers » n’est pas une simple figure de style. L’expression renvoie d’abord aux objectifs même des fondateurs de la ville et évoque surtout cette spiritualité séculaire qui s’est propagée bien au-delà des limites de l’île. Au terme de la période qui nous préoccupe, les communautés religieuses de Montréal se compteront par dizaines, les paroisses par centaines toutes confessions confondues, autant de facteurs de rassemblement, d’identification et de solidarité. Les catholiques qui, vers 1910, forment les trois-quarts de la population, donneront notamment naissance à des lieux de pèlerinage devenus nationaux et internationaux. Ils édifieront, presque dans la démesure, des monuments d’art, d’architecture et de génie. Les différentes confessions religieuses de la ville donneront le ton à des mouvements, des organisations, des courants de pensée et à des célébrations grandioses comme le congrès eucharistique international de 1910. Ces pratiques auront donné naissance à un patrimoine colossal et unique, dont on mesure encore à peine la portée et la valeur.
Une grande ville est en elle-même une source de divertissement pour ses visiteurs et touristes. Les Montréalais ont probablement toujours cultivé le culte du plaisir, avec, il va sans dire, tout le respect qu’impose la moralité. Le sens de l’innovation n’a jamais fait défaut. La nature s’étant faite accessible et généreuse, ses fruits ont été partagés pour le bénéfice de tous. Le mont Royal et l’île Sainte-Hélène constituent des lieux consacrés au loisir et au plein air. Après la raquette et la crosse, celle-ci sport national au tournant de 1900, d’autres activités sportive gagnent en popularité. Au XXe siècle, le hockey devient même à Montréal un élément rassembleur des cultures, voire des nations. L’hiver donne lieu non seulement à des sorties en famille, à des sports d’équipe et de groupe mais aussi un carnaval d’hiver, avant même celui de la Vieille Capitale.
Le goût de la fête donne lieu à la création et à l’initiative. La grande bourgeoisie fonde ses propres institutions récréatives, les milieux populaires adoptent les leurs. Tous les prétextes sont bons pour créer des défilés éblouissants : la Saint-Jean-Baptiste certes, mais aussi la Saint-Patrice, la Saint-André, la fête de la Reine, de Dollard, du Travail, la Fête-Dieu, les jubilés, anniversaires et autres commémorations.. La vie culturelle bat au cœur de la musique, de la danse, du théâtre. Les influences viennent de partout, d’Europe et d’Amérique, les mœurs des uns choquant celles des autres, le temps d’une performance artistique. Aux arts classiques de la scène, le XXe siècle ajoutera ses cinémas, ses cabarets, ses music-halls, sa vie de clubs dont les murs résonnent encore des échos de ses performances et des applaudissements enthousiastes.
Le secteur manufacturier reste l’une des assises fondamentales de l’économie montréalaise et connaît une forte expansion. En 1900, la valeur de la production manufacturière à Montréal se chiffre à 71 millions de dollars; en y ajoutant la banlieue, on obtient 87 millions. En 1910, ces chiffres ont plus que doublé, passant respectivement à 166 et 195 millions. Pendant cette période, l’agglomération montréalaise assure environ 55% de la valeur de la production industrielle du Québec, et entre 17% et 18% de celle du Canada.
Le nombre d’établissements augment légèrement, passant de 998 à 1147, mais le capital engagé double, grimpant de 72 à 150 millions de dollars, pendant que le nombre des employés connaît une hausse significative, de 54342 en 1900 à 80 000 en 1910. Ainsi, la croissance est moins le résultat de l’addition d’entreprises nouvelles que de l’expansion.
Le dernier siècle montréalais a été le théâtre d’une actualité qui a bouleversé, fait vibrer, ému ou simplement réchauffé les cœurs de générations de citoyens. Épidémies, accidents, tragédies, conflagrations ou défaites font écho aux victoires, réjouissances, anniversaires, célébrations, visites et commémorations. Douleurs et joies se sont succédé et sont venues marquer la vie collective de la métropole. Certains événements de l’histoire ont été soulignés en silence, avec retenue, d’autres, avec cris et et démesure. Comment oublier ces rassemblements spontanées à la faveur d’une bonne ou d’une mauvaise nouvelle, comment ne pas chérir le souvenir d’un personnage qui a incarné les aspirations de toute une société.
Montréal a une mémoire, la ville se souvient.
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(Tiré du livre Montréal, une aventure urbaine, les Éditions GID, 2000. Musée d’archéologie et d’histoire de Montréal, Pointe-à-Callière. Paul Trépanier & Richard Dubé).